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décidé, mais sage et conciliateur, tous ces mérites qui sont propres à la doctrine écossaise allaient merveilleusement à un esprit plus désireux de savoir avec certitude que de supposer avec génie, et dont la supériorité n’est aussi que la forme la plus haute du bon sens.

Presque tous les réformateurs en philosophie, avant d’entrer dans le détail de leurs doctrines, commencent par prononcer le mot d’affranchissement ; ils attirent du moins l’attention par l’attrait de quelque grande et éclatante question, capable de frapper universellement les esprits, et dont ils promettent une solution nouvelle et décisive. Telle ne fut point la marche de M. Royer-Collard. Appelé en 1811 à la chaire de philosophie de la Faculté des Lettres par la confiance de M. de Fontanes, et du consentement de l’empereur qui l’admit, comme l’a dit M. de Rémusat, « bien qu’il ne connût pas sa personne, et qu’il connût sa vie, sur la foi de ses principes, » il ne parla pas d’émancipation, il aborda la réforme philosophique sans bruit, sans éclat, avec fermeté, mais de côté pour ainsi dire. Sait-on quelle est la question que M. Royer-Collard posa devant ses trois auditeurs de la première leçon, lesquels allaient en amener tant d’autres ? La destinée de l’homme, la vie future, la nature de Dieu ? Non, et rien qui ressemble à ces vastes et intéressans problèmes. Il vint agiter une question bien aride, bien étroite en apparence, bien étrange surtout, et qui dut faire sourire, qui va faire sourire encore, j’en suis sûr, plus d’un lecteur, la question favorite du philosophe écossais, la question de savoir si le raisonnement peut démontrer l’existence du monde extérieur ! Prouver que la philosophie de la sensation, qui fait l’honneur insigne au monde extérieur de le regarder comme l’unique source de nos idées, ne nous assure même pas de l’existence de ce monde, bien plus, qu’une dialectique sévère conduit irrésistiblement, et de fait a mené les sensualistes conséquens et profonds à contester la réalité de la matière ; prouver à tous ces esprits qui s’appelaient avec orgueil des esprits pratiques, des philosophes positifs, que les principes de Condillac emportaient fatalement cette conséquence si peu positive et si peu pratique, le doute absolu sur les objets qui nous entourent, quelle gageure ! Cela ne vous paraît-il pas plutôt le pari d’un homme d’esprit qui se serait engagé d’honneur à embarrasser Condillac et à jouer un mauvais tour à ses collègues en philosophie, qu’une thèse sérieuse et de métaphysicien ? Et pourtant ce qui surprendra bien ceux qui ne sont pas habitués aux difficultés métaphysiques, c’est que cette thèse était vraie, c’est que cette conséquence absurde, extravagante, M. Royer-Collard ne l’imposait pas arbitrairement à l’école qu’il combattait ; elle l’avait elle-même dégagée, elle en avait fait gloire, il ne s’agissait que d’arracher le même aveu à ses adeptes trop timides : voilà la vérité que pendant plus de deux années M. Royer-Collard ne cessa l’environner d’une éclatante lumière, qu’il ne cesse