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marche, qu’on reconnaît avec effroi combien la cherté des matières premières entraîne après elle de conséquences funestes. A ne considérer que le fait matériel, on serait tenté de croire que le haut prix du fer n’influe que médiocrement sur le prix final des produits qui en dérivent. Prenez telle machine au hasard, constatez le poids du métal brut d’où elle sort, et peut-être trouverez-vous que le renchérissement de 70 ou 80 pour 100 que le prix du fer a subi en conséquence du monopole des maîtres de forges se résout en une augmentation de 10 pour 100 sur la valeur du produit final[1]. Mais pour combien compterez-vous la rareté et l’incertitude des commandes, la multiplication stérile des dessins et des modèles, la répétition fréquente des erreurs et des corrections nécessaires dans des épreuves sans cesse renouvelées, l’absence de l’outillage enfin et tant d’autres circonstances fâcheuses, conséquences naturelles du renchérissement que le haut prix du fer entraîne ? Il vous est impossible de le dire, et le mécanicien lui-même ne le sait pas. Ce qu’il sait, parce que sa pratique journalière le lui démontre, c’est qu’il lui est impossible de soutenir, dans la situation où il se trouve, la concurrence étrangère, et c’est de ce fait pratique qu’il s’autorise pour réclamer le maintien du système restrictif, cause première de tout le mal.

Pour soutenir les mécaniciens français dans l’état d’infériorité où les tient le monopole des maîtres de forges, on leur accorde à leur tour une protection qui peut être évaluée, en moyenne, à 30 ou 35 pour 100 de la valeur de leurs produits. Ce n’est pas trop, et, pour notre part, tant que le monopole s’étendra sur la matière première, nous trouverons cette protection convenable et juste. Croit-on cependant que cette faveur les dédommage ? Il s’en faut de beaucoup. On leur assure à peu près le marché national, c’est vrai, mais un marché national desséché et appauvri. On les garantit contre la concurrence étrangère, après les avoir mis hors d’état de la soutenir ; mais leur rend-on au dedans cette consommation étendue, ce débouché facile et courant, ces larges et fructueuses commandes, qui font la prospérité tout aussi bien que la puissance de leurs rivaux ? Non ; leur industrie végète et se traîne dans un état d’infériorité maladive, et ils se traînent avec elle au milieu des incertitudes et des déboires qui accompagnent naturellement une situation toujours précaire. Qui osera dire qu’il ne vaudrait pas mieux pour eux se passer de toute protection, s’ils étaient débarrassés en même temps du fardeau qui rend la protection nécessaire ? Qu’on leur rende le bas prix du fer, en y joignant, comme complément indispensable, le bas prix du charbon, et leur industrie grandira. Cela fait, qu’on leur

  1. On comprend que la proportion varie beaucoup, selon qu’il y a plus ou moins de travail dans une machine.