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tion : — Voici ce que j’affirmerais devant Dieu et devant les hommes, quand même ce cadavre serait celui de mon frère : l’homme que je soupçonnais n’est pas coupable de ce meurtre ; le crime a été commis malgré lui. Ici (et il montrait la trace des genoux) le voyageur a demandé merci ; l’homme de Tierra Adentro l’a protégé de son corps, ainsi que l’atteste l’empreinte de ces talons près de l’empreinte des genoux, et c’est là, ajouta-t-il en montrant la trace de la pointe du pied, qu’un chacal a frappé par derrière le malheureux, que son compagnon défendait. Le chacal sera frappé à son tour ! J’ai dit.

C’était la première fois que j’entendais un Mexicain s’exprimer avec cette solennité devant la mort. Je serrai silencieusement la main de Joaquin. Quelques heures après, je me séparais du boucanier ; ce fut encore ému de cette scène lugubre que je rentrai dans Tubac, où je me gardai bien de parler de ma triste rencontre. Tout, du reste, était en émoi dans le préside, car, chose inouie, la nuit précédente, une conduite d’argent avait été attaquée et une somme considérable enlevée par des inconnus. Ce fait était aussi parfaitement explicable pour moi que l’avaient été pour le chasseur de bisons les circonstances de l’assassinat du malheureux voyageur ; cette fois, comme l’autre, je reconnaissais l’intervention du tierra-adentreño.


II.

Le but de mon excursion à Tubac était désormais atteint. J’avais vu de près ces derniers vestiges des mœurs primitives qui se conservent encore dans quelques parties de la république, et que la civilisation bâtarde dont le siège est à Mexico tend de plus en plus à effacer. Il fallait songer maintenant à regagner les régions du centre. Quelques jours après mon arrivée à Tubac, une caravane d'arrieros devait partir dans la direction du sud ; je me joignis à eux, croyant bien en avoir fini cette fois avec la vie d’aventures. C’était à tort cependant que je comptais ne plus revoir, autrement que dans mes souvenirs, quelques-uns des représentans de cette société si franchement barbare qui se maintient au Mexique en présence de la société prétendue civilisée. Parmi les types bizarres qui s’étaient succédé devant mes yeux, il en était un, le salteador ou voleur de grand chemin, qui venait de se révéler à moi, mais seulement dans le demi-jour, et que je devais retrouver l’occasion d’observer, pour ainsi dire, en pleine lumière. Le sinistre personnage qui m’avait raconté au bivouac des chasseurs de bisons ses démêlés avec la justice m’avait appris comment, au Mexique, s’ouvre la destinée d’un brigand ; le même homme allait m’apprendre, à quelques jours de distance, comment elle se termine. Ce n’est point par la pendaison, comme on serait tenté de le croire. Tel qui a commencé, par lutter