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ne nous avait rien appris, les mêmes témérités pouvaient réussir encore : l’ennemi n’avait rien à changer dans sa tactique, puisque nous n’avions rien changé dans nos moyens de défense. Le génie de Nelson, c’est d’avoir compris notre faiblesse ; le secret de ses triomphes, c’est de nous avoir attaqués. Le premier, il brisa le prestige qui protégeait encore nos vaisseaux et s’enhardit lui-même par la facilité de sa victoire. La supériorité des vaisseaux anglais sur les nôtres, il ne faut pas l’oublier, n’avait été consacrée que par de faibles avantages avant le combat d’Aboukir ; mais cette funeste journée eut dans la guerre maritime les mêmes conséquences qu’avait eues la campagne d’Italie dans la guerre continentale. De cette époque seulement datent, pour les deux nations entre lesquelles le sort hésita si long-temps, les rapides conquêtes et les grands traits d’audace. L’esprit d’entreprise de Nelson trouva des émules, comme le génie militaire du général Bonaparte avait trouvé des imitateurs. Leurs triomphes furent le signal auquel se levèrent de toutes parts ces jeunes capitaines qu’enflamma leur exemple, ces ardens prosélytes, jaloux de prouver comme eux à l’Europe ce qu’on pouvait opérer avec ces deux leviers dont elle ignorait la puissance, des soldats français et des vaisseaux anglais.

La révolution stratégique qui s’était accomplie sur les bords du Pô et de l’Adige fut donc inaugurée presque au même instant à l’embouchure du Nil, Des deux côtés, cette révolution était également préparée : Bonaparte trouva les soldats aguerris de Schérer, Nelson conduisit au feu l’élite des vaisseaux de Jervis ; mais ici le rapprochement s’arrête : Nelson n’a rien, dans sa manière, de cette profondeur de vues, de cette précision mathématique qui distinguent l’école de l’empereur. Un général qui prendrait le contre-pied de sa tactique, qui placerait son adversaire dans les positions où le plus souvent l’illustre amiral s’est jeté lui-même, aurait admirablement préparé la défaite de l’armée ennemie. Entre vaisseaux également exercés, vouloir se guider sur cette tactique excentrique, telle qu’elle ressort des exemples plus encore que des préceptes de Nelson, ce serait, on peut l’affirmer sans crainte, courir à une perte certaine. Dans la situation respective où se trouvaient en 1798 et en 1805 les deux marines, ces assauts téméraires devaient au contraire donner à la victoire une portée qu’elle n’avait jamais eue dans aucune guerre maritime. Les fautes de Nelson, si l’on peut appeler de ce nom les inspirations qui réussissent, tournèrent alors à son avantage. Les vaisseaux qu’il laissa entourer ou qu’il présenta isolément sur le champ de bataille supportèrent en effet, sans trop en souffrir, tout le poids d’une artillerie mal servie et d’un tir mal dirigé ; les vaisseaux qu’il oublia en arrière (vaisseaux que le moindre changement de vent eût pu empêcher de prendre part au combat lui fournirent ce qui rend seul la victoire complète et fructueuse, une réserve