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SCÈNES DE LA VIE MEXICAINE.

sans résistance. L’inspection de la selle ne put rien nous apprendre de précis sur le sort du malheureux voyageur. Cependant une écorchure profonde et récente du cuir, écorchure qui commençait à la hauteur de l’étrier droit, pouvait indiquer que le cavalier avait été enlevé de force, traîné à terre, et que son éperon avait tracé ce sillon au moment de la chute. En outre, les cordons de cuir qui retenaient sa valise avaient été coupés et non brisés ou dénoués, et on se rappellera peut-être que cette valise contenait un sac d’or. Les boucaniers secouèrent la tête.

— Je me suis toujours défié, dit Joaquin, des tierra-adentreños. Puisque votre route est vers Tubac, seigneur cavalier, je vous accompagnerai ; ce cheval vient du côté du préside, et je ne serais pas fâché d’en savoir un peu plus long sur tout cela.

J’acceptai volontiers la proposition du chasseur. Je baignai mon cheval pour effacer les traces sanglantes des prouesses de Joaquin ; je le resellai, le boucanier détacha les deux chiens qu’il avait attachés à un bouquet de saule, et, après que j’eus pris congé de son camarade, nous partîmes, moi sur mon cheval, et Joaquin sur celui que le hasard lui avait envoyé.

À deux cents pas de là, nous vîmes couchées dans l’herbe les armas de agua que le mouvement furieux du cheval avaient détachées de la selle. — Peut-être, dis-je à Joaquin, allons-nous trouver le sac d’or du voyageur ? — Le boucanier ne me répondit que par un sourire d’incrédulité. Nous marchâmes encore une heure au grand trot. À une lieue environ de Tubac, les chiens aboyèrent et s’enfoncèrent dans un petit vallon où nous les suivîmes ; là un spectacle effrayant nous attendait. Au milieu d’une mare de sang, la face tournée contre terre, gisait le malheureux que nous avions vu, quelques heures auparavant, partir en compagnie du proscrit.

— Le proverbe a raison, dit tristement le boucanier ; le jaguar et l’agneau ne font pas long-temps route ensemble. Le pauvre diable ! ajouta-t-il d’un air de compassion, timide et craintif comme il semblait l’être, il ne devait être frappé que par derrière, et, tenez, voici la trace du jaguar. C’est bien là l’empreinte de son pied tel que je l’ai remarquée sur les cendres de notre foyer ; mais d’autres traces se mêlent aux siennes, et celles-là, je ne les connais pas.

Le boucanier examina les empreintes encore fraîches avec l’attention minutieuse que ses compatriotes portent dans ces sortes d’enquêtes, où la race américaine trouve occasion de déployer sa merveilleuse sagacité. Plein de confiance dans l’instinct presque divinatoire du chasseur des prairies, j’écoutai avec un vif intérêt Joaquin, lorsqu’après avoir soigneusement étudié le terrain, puis médité profondément, il se rapprocha de moi et me dit avec l’accent d’une inébranlable convic-