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Victory abandonnent leurs pièces pour repousser ce nouveau danger. Accueillis par une pluie de grenades et un feu nourri de mousqueterie, ils se replient bientôt en désordre dans la première batterie ; mais la masse du Victory le protège encore, et les matelots du Redoutable font de vains efforts pour escalader ses murailles. Le capitaine Lucas ordonne de couper les suspentes de la grand’vergue, et veut la jeter comme un pont-levis en travers des deux vaisseaux. En ce moment, l’aspirant Yon et quatre matelots, s’aidant de l’ancre suspendue dans les porte-haubans du Victory, sont parvenus à gagner le pont du vaisseau anglais. Ils montrent ce chemin à leurs compagnons ; les colonnes d’abordage se reforment à la hâte ; le second du Redoutable, le lieutenant de vaisseau Dupotet[1], se jette à leur tête et leur fait partager sa bouillante ardeur : quelques minutes encore, et le Victory est à nous ! C’est alors qu’une effroyable volée de boulets et de mitraille balaie le pont du Redoutable. Le Téméraire, après avoir franchi la ligne, est venu se jeter sous le beaupré de ce vaisseau. 200 hommes ont été renversés par sa première bordée : le Téméraire retombe en travers du vaisseau français et le foudroie de nouveau de son artillerie. Serré entre deux vaisseaux à trois ponts, le Redoutable se débat quelque temps dans cette double étreinte. Ses canons démontés, sa poupe déchirée et pendante, son grand mât abattu, ses porte-haubans en feu, n’ont point encore appris au capitaine Lucas la nécessité de se rendre ; mais LE NEPTUNE et le Leviathan ont coupé la ligne à leur tour, et toute résistance devient désormais inutile. A une heure cinquante-cinq minutes, le capitaine Lucas livre à l’ennemi un vaisseau criblé de boulets et les débris d’un équipage qui compte en ce moment 522 hommes hors de combat. « Jamais l’intrépide Nelson ne pouvait succomber en combattant des ennemis plus dignes de son courage[2]. »

Unis par leurs mâts abattus, qui sont tombés d’un vaisseau sur l’autre, le Victory, le Redoutable et le Téméraire dérivent ensemble vers l’arrière-garde. Arrivé à cent mètres du Fougueux, le Téméraire dirige vers ce vaisseau ses canons de tribord. Malgré le double combat qu’il vient de soutenir contre le Royal Sovereign et le Belleisle, le Fougueux, digne émule du Redoutable, n’hésite point à aborder le Téméraire. Mortellement blessé, l’intrépide capitaine Baudouin, héros simple et modeste, dont la France a laissé périr le nom et auquel l’Angleterre eût donné une tombe à Westminster, Baudouin, de la dunette où il est tombé, anime encore son équipage ; mais il retient en vain, par un suprême effort, la vie qui lui échappe. Il expire, trop heureux d’expirer avant d’avoir vu son vaisseau au pouvoir de l’ennemi ! Cette nouvelle

  1. Aujourd’hui vice-amiral.
  2. Rapport du capitaine Lucas. .