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dans ses eaux, le Neptune sous le vent de la ligne, entre le Redoutable et le Bucentaure. En arrière de ce groupe, un large intervalle, qu’auraient dû occuper 3 vaisseaux souventés, le San-Leandro, le San-Justo et l’Indomptable, brèche ouverte déjà dans cette muraille vivante, semblait, à l’instar de l’attaque, avoir partagé la défense, laissant 14 vaisseaux du côté de Villeneuve, 19 vaisseaux du côté de Gravina. La Santa-Anna occupait la tête de cette seconde division. Derrière ce vaisseau à trois ponts se trouvait l’élite de l’armée française : le Fougueux, séparé par un vaisseau espagnol, le Monarca, du Pluton et de l’Algésiras ; l’Aigle, le Swiftsure[1] et l’Argonaute, séparés de l’Algésiras par le Bahama. Après ces 9 vaisseaux, un dernier peloton comprenait encore 2 vaisseaux français et 5 vaisseaux espagnols : le Montanez et l’Argonauta, tombés sous le vent ; le Berwick, suivi du San-Juan Nepomuceno ; l’Achille, doublant le San-Ildefonso, et le Prince des Asturies, destiné par Villeneuve à guider l’avant-garde, mais devenu ce jour-là, par l’effet des circonstances qui avaient rangé la flotte dans un ordre renversé, le serre-file de l’armée combinée.

Cette armée se trouvait alors à huit ou neuf lieues de Cadix. Nelson voulait, avant tout, lui couper le chemin de ce port. Il y réussissait, s’il parvenait à traverser la ligne de bataille que venait de former Villeneuve. Une manœuvre semblable avait été tentée par lord Howe au combat du 13 prairial, mais avec des ménagemens infinis. Ayant le vent sur l’armée de Villaret-Joyeuse, lord Howe, après avoir rangé son escadre sur une ligne de front, avait attaqué la flotte républicaine de biais et non debout au corps. Menaçant d’abord l’arrière-garde de Villaret, il avait insensiblement redressé sa route et porté ses vaisseaux, par une marche oblique, vers les vaisseaux français. Il n’est point un tacticien qui eût, à cette époque, osé manœuvrer autrement, pas un officier qui n’eût pensé, avec M. Clark, l’écrivain officiel pensionné par la Grande-Bretagne, « qu’une flotte gouvernant à angle droit sur une autre flotte devait être infailliblement désemparée. » Nelson appréciait, sans doute aussi bien qu’un autre, les inconvéniens de ce mode d’attaque ; mais il comptait sur l’inexpérience de ses adversaires, et, choisissant d’instinct, pour arriver à son but, le chemin le plus court, sinon le plus sûr, il offrait sans hésiter aux coups d’une flotte entière 2 vaisseaux destinés à frayer le passage au reste de l’armée, son propre vaisseau et celui de Collingwood.

  1. Il n’est point inutile de faire remarquer, pour prévenir toute confusion, qu’il se trouvait dans les deux armées plusieurs vaisseaux portant le même nom, deux Swiftsures, deux Achilles, trois Neptunes et deux Argonautes. On distinguera facilement, dans le développement du récit, les vaisseaux anglais des vaisseaux français portant le même nom. Nous mettrons d’ailleurs les premiers en caractères, différens, en petites capitales.