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les 20,000 hommes qui occupaient, sous le général Gouvion Saint-Cyr, la place forte de Pescara et la frontière septentrionale du royaume de Naples. Marchant ensuite sur Gènes par la Toscane et le duché de Parme, elles tombaient à l’improviste sur les derrières de l’armée de Masséna. Cette diversion, proposée à la cour de Vienne, était le plan chéri du général Dumouriez, celui qu’il recommandait à la sollicitude de Nelson et dont il réclamait avec instance la direction. « Nous réaliserions ainsi, écrivait Dumouriez à l’amiral, ces projets que nous formions ensemble à Hambourg contre le sauvage usurpateur que nous abhorrons également. » Mais ce projet habile n’avait point échappé au regard perçant de l’empereur, et pendant que la reine de Naples, prête à se lancer dans de nouvelles aventures, écrivait à Nelson, autrefois son libérateur, encore aujourd’hui son héros : « Votre nom seul anime le courage de chacun la crise générale approche : Dieu veuille que ce soit en bien ! » le général Saint-Cyr recevait les instructions suivantes : « S’emparer de Naples, en chasser la cour, dissoudre et anéantir l’armée napolitaine avant que les Anglais et les Russes eussent pu apprendre que les hostilités étaient commencées. »

Quelques jours après avoir signé ces instructions, le 17 septembre 1805, l’empereur expédiait à Villeneuve l’ordre d’appareiller avec la flotte combinée, de se porter d’abord vers Carthagène pour y rallier le contre-amiral Salcedo, de Carthagène sur Naples pour y déposer les troupes embarquées sur son escadre et les joindre à l’armée du général Saint-Cyr. « Notre intention, ajoutait l’empereur, est que partout où vous trouverez l’ennemi en forces inférieures, vous l’attaquiez sans hésiter et ayez avec lui une affaire décisive… Il ne vous échappera pas que le succès de ces opérations dépend essentiellement de la promptitude de votre départ de Cadix : nous comptons que vous ne négligerez rien pour l’opérer sans délai, et nous vous recommandons dans cette importante expédition l’audace et la plus grande activité. » L’empereur, avec Villeneuve, ne craignait pas d’exagérer sa pensée. Cet amiral était, à ses yeux, « un de ces hommes qui ont plutôt besoin d’éperon que de bride. » Convaincu, d’ailleurs, en lui prescrivant cette funeste manœuvre, que « son excessive pusillanimité l’empêcherait de l’entreprendre, » il faisait partir secrètement le vice-amiral Rosily de Paris. Cet officier-général, s’il trouvait encore la flotte combinée à Cadix, devait en prendre le commandement, arborer le pavillon d’amiral au grand mât du Bucentaure, et renvoyer en France le vice-amiral Villeneuve « pour y rendre compte de la campagne qu’il venait de faire. »

L’amiral Decrès, qui aimait sincèrement Villeneuve, rédigea ce dernier ordre d’une main tremblante. Lui, dont la plume était si facile, le style si net et si limpide, il ratura, il surchargea vingt fois les cinq ou