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Après avoir partagé sa flotte en deux armées, Nelson songeait à livrer deux combats distincts : un combat offensif qu’il réservait à Collingwood, un combat défensif dont il voulait se charger lui-même. Pour atteindre ce but, il comptait couper la ligne de Villeneuve, qui se développerait probablement sur un espace de cinq à six milles, de façon à la séparer en deux divisions, laisser alors à Collingwood l’avantage du nombre et supporter seul le poids de forces supérieures. Ainsi, la flotte anglaise étant composée de 40 vaisseaux, la flotte, combinée de 46, Collingwood avec 16 vaisseaux, devait attaquer 12 vaisseaux ennemis ; Nelson avec le reste de la flotte, devait contenir les 34 autres. Pour résister à la pression de cette masse de forces, ce dernier n’avait pas l’intention de rester inactif. Il voulait au contraire se jeter vers le centre sur les vaisseaux qui entoureraient le commandant en chef, isoler par ce mouvement l’amiral Villeneuve de son armée et l’empêcher de transmettre ses ordres à l’avant-garde. Tenir par cette manœuvre l’avant-garde en suspens, c’était gagner un temps précieux. Si cette partie de l’armée combinée hésitait à prendre spontanément une résolution énergique, si elle ne se portait au feu qu’après avoir inutilement attendu les signaux de l’amiral, les vaisseaux de Collingwood, plus nombreux d’un quart que leurs adversaires, auraient déjà accablé l’arrière-garde avant que l’avant-garde eût pu tirer un seul coup de canon. La colonne de Collingwood n’aurait point sans doute achevé cette conquête « sans y perdre quelque mât ou quelque vergue ; » l’effet moral qui suivrait ce triomphe devait amplement compenser ce désavantage, et 40 vaisseaux, de quelque prix qu’ils eussent payé un premier succès, n’auraient rien à craindre de 34 vaisseaux intacts, mais ébranlés par la défaite de leurs compagnons.

Tel fut l’esprit de ce memorandum si souvent commenté, si souvent célébré comme la dernière expression de la stratégie navale, comme le testament militaire du plus illustre amiral qu’ait produit l’Angleterre. On verra quelles modifications importantes lui firent subir sur le terrain la fougueuse impatience de Nelson et les circonstances toujours imprévues d’une affaire maritime. Ce qui doit appeler d’ailleurs nos méditations, c’est moins le côté stratégique que le côté moral de ce projet ingénieux, c’est moins cet habile partage de ses forces qu’imagine Nelson que la noble confiance qui lui en suggère la pensée. « Dès que j’aurai fait connaître mes intentions au commandant de la seconde colonne (répète-t-il en maint endroit de son memorandum), l’entière direction, le commandement absolu de cette colonne, lui appartiennent. C’est à lui de conduire son attaque comme il l’entend, c’est à lui de poursuivre ses avantages jusqu’au moment où il aura capturé ou détruit les vaisseaux qu’il aura enveloppés. J’aurai soin que les autres vaisseaux ennemis ne viennent pas l’interrompre… Quant aux capitaines de