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lieues du cap Sicié, quand elle fut aperçue par les frégates anglaises l’Active et la Phébé. La Phébé laissa arriver sur le golfe de Palmas, où elle devait trouver Nelson ; l’Active essaya de se maintenir à portée d’observer la route de nos vaisseaux ; durant la nuit, elle les perdit de vue. Par un heureux concours de circonstances, Villeneuve apprit le lendemain d’un bâtiment ragusain que, cinq jours auparavant, la flotte anglaise louvoyait dans le sud de la Sardaigne. Assuré de trouver la mer libre au nord des Baléares, il serra le vent, rallia la côte d’Espagne, et, le 6 avril, se trouva en vue de Carthagène.

Informé de la sortie de notre escadre, Nelson l’attendait en vain entre la Sardaigne et la côte d’Afrique. « Je suis complètement égaré, écrivait-il dans son désespoir, par la faute de mes frégates, qui ont perdu la trace de l’ennemi à la sortie du port ; mais à quoi me serviraient les plaintes et la colère ? » Ce ne fut que le 10 avril que, se tenant à la hauteur de l’île d’Ustica, afin d’être prêt à se porter sur Naples ou sur la Sicile, il commença à soupçonner la route qu’avait suivie notre escadre en sortant de Toulon. Une lettre du ministre anglais à Naples lui fit connaître qu’un corps de troupes sous les ordres du général Craig et sous l’escorte du contre-amiral Knight avait dû partir d’Angleterre pour se rendre dans la Méditerranée. Cette expédition importante pouvait être interceptée par l’amiral Villeneuve, et Nelson n’hésita plus, pour la couvrir, à se diriger en toute hâte vers le détroit. Pendant qu’il luttait avec persévérance contre de violens vents d’ouest, il apprit, le 16 avril, par un bâtiment neutre, que les vaisseaux français avaient été aperçus le 7 sous le cap de Gate. « Si cette nouvelle est vraie, écrivait-il à Naples, je frémis en songeant à tout le mal que peut nous avoir fait l’ennemi ! » Le 7 avril, en effet, l’escadre française avait déjà dépassé Carthagène. Le contre-amiral Salcedo commandait dans ce port six vaisseaux espagnols. Villeneuve eût voulu les joindre à son escadre ; mais Salcedo demandait trente-six heures pour embarquer ses poudres[1] : une brise favorable venait de s’élever ; Villeneuve, impatient d’en profiter, ne voulut pas s’arrêter davantage. Il continua sa route, et le 9 avril, il donnait dans le détroit de Gibraltar. Le soir même, chassant devant lui le vice-amiral Orde et les cinq vaisseaux anglais qui bloquaient Cadix, il jetait l’ancre à l’entrée de ce port, afin d’opérer sa jonction avec l’amiral Gravina.

Cet amiral espagnol était né à Naples. Charles III, dont on l’a cru généralement le fils naturel, le fit entrer dans la marine et l’envoya combattre les Algériens. En 1793, Gravina servait sous les ordres de l’amiral Langara et prenait part à la défense de Toulon et de Roses. Cette campagne lui valut le grade de contre-amiral et la réputation

  1. Lettre du général Beurnouville à l’amiral Decrès.