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sentir Nelson sur sa trace, montra moins de persévérance. Il avait éprouvé de sérieuses avaries et avait perdu de vue, dès la première nuit, le vaisseau l’Indomptable et trois de ses frégates. Il s’empressa de rentrer au port. « Ces messieurs, écrivait Nelson à lord Melville, ne sont pas habitués à ces ouragans que nous avons défiés pendant vingt et un mois sans y perdre un mât ou une vergue. » Cette inexpérience de la mer était, en effet, le grand mal de notre marine. Villeneuve, déjà découragé par cette première sortie, s’en plaignait avec amertume.

« L’escadre de Toulon (écrivait Villeneuve à l’amiral Decrès) paraissait fort belle sur la rade, les équipages bien vêtus, faisant bien l’exercice ; mais, dès que la tempête est venue, les choses ont bien changé. Ils n’étaient pas exercés aux tempêtes. Le peu de matelots confondus parmi les soldats ne se trouvaient plus. Ceux-ci, malades de la mer, ne pouvaient plus se tenir dans les batteries. Ils encombraient les ponts. Il était impossible de manœuvrer. De là des vergues cassées, des voiles emportées, car, dans toutes nos avaries, il y a eu bien autant de maladresse ou d’inexpérience que de défaut de qualité des objets délivrés par les arsenaux.

Telles sont les scènes de confusion qui ont souvent signalé l’entrée en campagne de nos escadres. Au début de la guerre, l’Angleterre prenait rapidement l’offensive. Ses vaisseaux étaient devant nos ports que les nôtres n’étaient point encore en état d’en sortir. Chaque jour rendait l’ennemi plus fort et diminuait notre confiance. Au lieu de prendre la mer en dépit des escadres anglaises, de vive force s’il était nécessaire, on aimait mieux attendre qu’un coup de vent les obligeât à lever le blocus. On sortait alors à la faveur d’une tempête, et plus d’une fois cette tempête ne laissa rien à faire à l’ennemi[1].


III.

Après son excursion devant Alexandrie, Nelson se trouva retenu dans le sud de la Sardaigne par une longue série de vents d’ouest, et ce ne fut que le 12 mars qu’il put reconnaître les côtes de Provence. Le 15, il avait regagné son poste d’observation sous le cap Saint-Sébastien ; mais, après avoir détaché devant Barcelone le vaisseau le Leviathan,

  1. L’empereur, pour préparer ces expéditions malheureuses, n’avait eu devant lui que deux années d’une trêve incomplète ; mais ce qu’on n’eût pu sans injustice demander à ce règne agité, ne serait-on point en droit de l’exiger d’un gouvernement opérant au milieu de circonstances régulières ? Quand on veut une marine, quand il faut la créer de toutes pièces, la faire sortir tout armée, non de la constitution même du pays, comme le peut faire un peuple commerçant, mais d’une grande pensée politique comme doit le faire une nation militaire, il n’y a qu’un moyen peut-être de prévenir le danger d’être à demi vaincu avant d’avoir en l’occasion de combattre : c’est d’être à la fois actif et prévoyant, de tenir ses vaisseaux prêts à armer au premier signal, et d’aller menacer les côte de l’ennemi avant qu’il ait pu bloquer les vôtres.