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ses vergues et ses voiles dans les circonstances ordinaires plus soigneusement que son escadre ou son vaisseau dans les occasions décisives. Nelson connaissait d’ailleurs mieux que personne la mer dans laquelle il naviguait en ce moment. Il savait avec quelle soudaine violence se déclarent les ouragans dans la Méditerranée, et, s’attendant à rencontrer l’ennemi, il ne voulait point s’exposer à lui présenter des vaisseaux déjà désemparés.

La tempête que Nelson avait prévue n’éclata que le lendemain ; elle trouva l’escadre anglaise sous ses voiles de cape et prête à défier toute la furie des grains de sud-sud-ouest qui se succédèrent sans interruption jusqu’au 23 janvier. Nelson apprit alors par ses frégates qu’un vaisseau français démâté de ses deux mâts de hune s’était réfugié à Ajaccio et qu’une frégate française avait paru à l’entrée du golfe de Cagliari. Il pensa que notre escadre avait été dispersée par la tempête qu’il venait d’essuyer. « De deux choses l’une, écrivit-il à l’amirauté, ou cette escadre désemparée sera rentrée au port, ou elle aura fait route à l’est et probablement vers l’Égypte. Si elle est revenue sur ses pas, je n’ai plus l’espoir de la joindre et je n’ai par conséquent rien à perdre en me dirigeant vers le Levant ; si, au contraire, elle a continué sa route, j’ai toutes les chances possibles de l’atteindre. »

Le 29 janvier 1805, l’escadre anglaise doublait l’île de Stromboli, franchissait, malgré les vents contraires, le phare de Messine, et, quelques jours plus tard, reconnaissait la côte d’Afrique. Les vaisseaux français n’avaient pas paru devant Alexandrie, et, le 8 février, Nelson, désespéré, reprenait la route de Malte et de Toulon. « Cependant, écrivait-il encore à l’amirauté, bien que j’eusse appris les avaries éprouvées par un vaisseau français, je ne pouvais oublier le caractère de Bonaparte. Je savais que les ordres donnés par lui sur les bords de la Seine ne prendraient en considération ni le temps ni la brise, et en effet, dans mon opinion, y eût-il eu trois ou quatre vaisseaux français désemparés, ce n’était pas une raison suffisante pour arrêter une expédition importante. »

Ce ne fut que le 14 février, et quand il n’était plus qu’à cent lieues de Malte, que Nelson apprit d’une façon certaine ce qu’était devenue la flotte française. L’empereur n’avait point osé confier au vice-amiral Villeneuve l’exécution de ce plan audacieux qu’il avait conçu pour Latouche-Tréville. C’était la flotte de Brest et l’amiral Gantheaume qu’il voulait cette fois appeler dans la Manche. Pour diviser l’attention des vaisseaux anglais et les éloigner de nos côtes, il avait résolu de porter deux escadres dans la mer des Antilles. Le contre-amiral Missiessy était parti de Rochefort le 11 janvier, Villeneuve, de Toulon, le 18. Après avoir essuyé treize jours de cape dans le golfe de Gascogne, l’amiral Missiessy avait pu continuer sa route, Villeneuve, qui croyait toujours