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autre direction à ses pensées. Une escadre française, revenant de Saint-Domingue, s’était réfugiée au Ferrol, où elle était bloquée par le contre-amiral Cochrane. Si cette escadre venait se réunir à celle de Toulon, Nelson voyait déjà l’Égypte ou la Morée au pouvoir de nos troupes. Il songeait alors à prendre une position qui lui permît d’accabler nos escadres séparées avant qu’elles eussent pu opérer leur jonction. Ce qui le préoccupait davantage encore, c’était la présence de 21 vaisseaux à Brest et de 5 vaisseaux à Rochefort. L’amiral Bruix, en 1799, avait débloqué Cadix et Carthagène et réuni 40 vaisseaux français et espagnols dans la Méditerranée. Un amiral entreprenant pouvait, en trompant la surveillance de Cornwallis, souvent obligé, à l’entrée de l’hiver, de se réfugier à Portsmouth, être sorti de Brest et avoir rallié les vaisseaux de Rochefort et du Ferrol avant que la nouvelle de son départ fût parvenue à Spithead. Dès que Nelson connut la nomination de l’amiral Gantheaume au commandement de la flotte de Brest, il ne douta point que ce choix n’indiquât l’intention de Napoléon de porter ses vaisseaux dans une mer que Gantheaume avait la réputation de bien connaître. « D’ailleurs, disait-il, c’est ici que Bonaparte veut trouver à s’agrandir, et c’est ici qu’il faut lui opposer de grandes armées et de grandes flottes. » Au milieu de ces inquiétudes, Nelson conservait pourtant la même audace et la même confiance en sa fortune. Bien que ses forces fussent déjà inférieures à celles de Latouche-Tréville et qu’il dût s’attendre à voir cet amiral rallié par de nouveaux renforts, il ne craignait point d’affaiblir son escadre en laissant constamment dans la baie de Naples un vaisseau de ligne prêt à enlever la famille royale et à la transporter à Palerme, si les troupes françaises franchissaient la frontière du royaume.

La France venait alors d’appeler à l’empire l’homme qui l’avait sauvée de l’Europe en armes et de l’anarchie ; l’invasion de l’Angleterre se préparait avec une activité nouvelle. La flotte de Toulon avait été portée à 10 vaisseaux. Latouche-Tréville devait la conduire devant Cadix, y rallier le vaisseau l’Aigle, débloquer les 5 vaisseaux réunis à Rochefort, et, avec 16 vaisseaux de ligne, paraître dans la Manche, pendant que Gantheaume tiendrait devant Brest Cornwallis en échec. Les Anglais n’avaient en rade des Dunes que 7 ou 8 vaisseaux, et l’escadre qui bloquait le Texel ne pouvait abandonner cette croisière sans laisser la mer libre à l’escadre hollandaise, composée de 5 vaisseaux et de 4 frégates, que s’apprêtait à suivre un convoi de 80 voiles. De toutes les transformations qu’avait déjà subies le plan de l’empereur, de toutes celles qu’il devait subir encore, celle-ci était assurément la plus heureuse. Elle offrait le double avantage de ne faire sortir qu’en été des vaisseaux entièrement déshabitués de la mer, et de ne réunir dans