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propagande ; elle a montré une modération, un sage libéralisme, qui n’ont pas laissé que de lui concilier l’estime et la sympathie des populations dont elle est entourée. Cette situation est-elle donc si mauvaise ?

Qu’on la compare au rôle qu’en ce moment la Prusse a accepté dans l’affaire de Cracovie. L’ambition naturelle du gouvernement prussien est de marcher à la tête de l’Allemagne ; il ne peut s’assurer cette prééminence morale ; qu’en maintenant avec habileté l’indépendance de la nationalité germanique, tant du côté de la Russie que du côté de l’Autriche. Il a tout à perdre en montrant une aveugle soumission aux vues du cabinet de Saint-Pétersbourg, et en suivant avec complaisance la politique de M. de Metternich. C’est cependant à cet écueil que dans ces derniers temps est venu échouer le gouvernement prussien qui a oublié non-seulement toutes les raisons de politique générale qui lui défendaient de se faire le complice de la Russie, mais encore les intérêts les plus positifs de ses populations. Il ne s’est aperçu qu’après coup du dommage que l’incorporation de Cracovie à l’Autriche allait causer au commerce de la Silésie. Il est maintenant en instance auprès du cabinet de Vienne pour demander qu’on ait égard à ses tardives réclamations. Est-ce là une attitude digne de la monarchie du grand Frédéric ? Sans doute, c’est sous le coup de mille obsessions que le roi de Prusse a signé le traité qui dépouille Cracovie de ses droits. Il y a eu d’un côté les agens russes qui l’ont effrayé des prétendus progrès du communisme ; il y a eu d’un autre côté et au sein même de sa famille d’ardens détracteurs de toute alliance avec l’Occident. Ce qui manque aujourd’hui à Frédéric-Guillaume, ce sont des conseillers aussi fermes et réfléchis qu’il est lui-même mobile et léger, un homme tel qu’eût été, par exemple, Guillaume de Humboldt, tel qu’était encore M. de Bulow. Il se dit à présent dans Berlin qu’avec M. de Bulow l’on n’eût pas commis cette grande faute de laisser prendre Cracovie. M. de Canitz, au contraire, était resté trop long-temps à Vienne pour ne pas garder une déférence entière vis-à-vis de M. de Metternich. C’est en sentant le tort matériel infligé au commerce du Zollverein par l’annexion de la république polonaise à l’Autriche que le cabinet prussien s’est d’abord réveillé. La position nouvelle que le gouvernement russe menaçait et menace encore de se créer vis-à-vis du royaume de Pologne a mis le comble aux embarras du roi. Le bruit s’est répandu tout d’un coup que la Pologne entière allait être incorporée à l’empire russe, et qu’on lui ravirait jusqu’à son nom ; ce bruit a été démenti ; mais il n’en est pas moins vrai que le cabinet de Saint-Pétersbourg avait fait pressentir les puissances ses alliées sur un projet qu’il voulait avoir l’air de méditer dans l’intérêt commun, et, s’il a reculé devant une exécution immédiate à cause des répugnances soulevées par ses premières ouvertures, il poursuit du moins avec plus de vivacité que jamais l’abolition des douanes sur la frontière polonaise et la substitution d’un nouveau code au code Napoléon. On s’est sans doute trouvé fort ému à Berlin, car la première conséquence des insinuations russes aurait été une communication transmise à Londres. M. Bunsen, dans une entrevue avec lord Palmerston, aurait dénoncé la marche que prenaient les affaires sur la Vistule, et demandé si l’Angleterre comptait agir au cas où la Russie hasarderait un envahissement de plus, déclarant même avec énergie que la Prusse alors protesterait. Nous souhaiterions vivement que la Prusse, enfin éclairée sur ses plus sûrs intérêts, changeât de front pendant qu’il en est temps encore et com-