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Nous assistons d’abord aux amours de Philippe-Auguste et d’Agnès. Le roi est tout entier à sa passion et semble avoir oublié les avertissemens de Célestin III, dont il ne dit pas un mot. Agnès, dans la générosité de son cœur, se souvient d’Ingeburge, et prie le roi d’être bon pour elle et de la traiter avec douceur. Arrive le légat, que rien ne semblait annoncer, dont la parole austère et menaçante réduit au silence la passion presque pastorale de Philippe pour Agnès. Cette première entrevue du légat et du roi devait produire un effet imposant. Malheureusement le légat reparaît si souvent dans la suite de la pièce, que l’attention, engourdie par la monotonie des menaces qu’il prononce, finit par l’abandonner entièrement, si bien qu’il passe à l’état de comparse, quoiqu’il ait, dans la pensée du poète, un des rôles les plus importans de la tragédie. Au second acte, l’interdit est prononcé. Le légat, irrité de la résistance du roi, a fidèlement exécuté les ordres d’Innocent III. Les églises se ferment, les saintes images sont voilées, le deuil est partout, mais le spectateur ne voit rien. L’auditoire écoute sans émotion, sans effroi, le récit de toutes les scènes auxquelles il devrait assister. La partie vraiment intéressante de la tragédie, la partie vivante, animée, pathétique, n’est pas représentée sur le théâtre. Guillaume des Barres, tour à tour confident de Philippe et d’Agnès, conseille à la nouvelle reine de s’enfuir pour conjurer les fléaux qui menacent la France. Du clergé, de la noblesse, des communes, pas un mot. Agnès se rend aux conseils de Guillaume, et s’enfuit avec le désir et l’espérance d’être arrêtée dans sa fuite. Son espérance est exaucée ; elle ne peut quitter le royaume, elle est ramenée entre les bras du roi. Philippe accuse Agnès de ne plus l’aimer, Agnès se justifie, et les deux amans se réconcilient, comme il était facile de le prévoir. Nous sommes arrivés à la fin du quatrième acte, et rien encore n’a permis au spectateur de deviner la véritable signification, le caractère réel de l’action dont il entend parler, mais qui ne s’accomplit pas sous ses yeux. Enfin la reine, effrayée de l’interdit jeté sur le royaume et des malédictions populaires qui la poursuivent chaque jour, se décide à sauver le roi et son peuple au prix de sa vie. Après avoir prononcé contre Rome des imprécations qui rappellent trop les imprécations de Camille, après avoir vainement essayé de fléchir la volonté du légat, elle s’empoisonne, et délivre ainsi le roi et le royaume de la colère d’Innocent III.

C’est à ces élémens que se réduit la tragédie de M. Ponsard. Je parlerai tout à l’heure des idées qu’il a développées sans tenir compte du siècle où vivaient ses personnages, du talent qu’il a montré dans l’expression de sa pensée sans se croire obligé à l’unité de style. Pour le moment, je dois me borner à signaler toute l’indigence de la fable tragique inventée par le poète. M. Ponsard n’a pas interprété l’histoire, il l’a reconnue. Qu’est-ce, en effet, qu’interpréter l’histoire ? N’est-ce pas