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qu’octogénaire, n’avait pas assez d’énergie pour contraindre à l’obéissance un roi aussi puissant que Philippe-Auguste ; il lui écrivit à plusieurs reprises, mais toujours sans succès. L’avènement d’Innocent III changea subitement la face de la question ; Innocent III était plein de zèle et de vigueur. Éloquent, hardi, jaloux des droits du saint-siège, animé d’une foi ardente, se croyant appelé à diriger, au nom de l’Évangile, tous les mouvemens de la politique européenne, il prit en main la cause d’Ingeburge et enjoignit à Philippe-Auguste de reprendre sa seconde femme. Plus tard, il écrivit à l’évêque de Paris et lui ordonna d’admonester sévèrement son souverain temporel sur le scandale de sa conduite. Cette double remontrance étant demeurée sans effet, il envoya en France le cardinal Pierre, comme légat à latere, avec ordre de signifier au roi qu’il eût à quitter Agnès de Méranie dans le délai fixé par le saint-siège, s’il ne voulait s’exposer à voir son royaume mis en interdit. Philippe reçut le cardinal Pierre avec déférence, mais refusa nettement de renvoyer Agnès. Il écrivit à Innocent III plusieurs lettres qui nous ont été conservées pour expliquer le renvoi d’Ingeburge. Outre la parenté alléguée pour justifier la répudiation, le roi se plaint de ne pouvoir accomplir avec elle le devoir conjugal. Innocent n’accepta pas les excuses de Philippe, et, après d’inutiles pourparlers, il résolut d’envoyer en France un nouveau légat, le cardinal Octavien, et lui donna les instructions les plus sévères. Philippe ayant refusé péremptoirement de se soumettre aux ordres du saint-siège, le royaume fut mis en interdit. Au jour fixé par le légat, les églises furent fermées, les reliques furent soustraites à l’adoration des fidèles, les saintes images furent voilées ; hors le baptême et l’extrême-onction, tous les sacremens furent refusés par le clergé. Les cimetières même ne s’ouvrirent plus, et les morts ne purent obtenir les prières chrétiennes. Philippe, au lieu de céder devant cette démonstration énergique du saint-siège, exerça de vives représailles contre le clergé qui s’était soumis aux ordres d’Innocent III.

Le pape refusa d’examiner la validité du divorce tant que le roi n’aurait pas rendu au clergé les biens dont il l’avait dépouillé, et renvoyé Agnès hors du royaume. Agnès, menacée dans son amour, car elle aimait le roi avec passion, écrivit à Innocent III une lettre suppliante elle était mariée depuis cinq ans et avait deux enfans de Philippe. Le pape ne voulut rien entendre. Le peuple, privé des sacremens, se révolta dans plusieurs provinces ; il y eut des émeutes sanglantes. Enfin le roi, abandonné par le clergé, par la noblesse, se vit forcé de subir les conditions du saint-siège. Les prélats, réunis en concile à Soissons, annulèrent, en présence d’Ingeburge, le divorce prononcé par l’archevêque de Reims, et le roi consentit à renvoyer Agnès. Un jour, tandis que les évêques délibéraient, Philippe arriva sans être attendu, prit en