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avant un petit tubercule lisse portant au-dessus et de chaque côté un point oculaire rouge. Dès ce moment, sa nature est définitivement fixée. L’observateur ne peut encore, il est vrai, reconnaître à quelle classe, à quelle famille, à quel genre appartiendra l’être naissant qu’il a sous les yeux ; et pourtant il peut affirmer hardiment que, parvenu à son état parfait, cet être sera un animal annelé, car déjà il possède tous les caractères fondamentaux de cet embranchement. En effet, son corps est composé de deux moitiés latérales symétriques ; sa face dorsale se distingue de sa face ventrale, son canal digestif est étendu d’avant en arrière. Tout semble encore homogène dans cet embryon microscopique ; on n’y distingue aucun muscle, et pourtant il se contracte en tout sens, se ramasse en boule, s’épate en disque, et, dans ces mouvemens extrêmes, présente ces formes passagères qui ont trompé l’habile naturaliste de Stockholm.

À cette époque, il est encore impossible de reconnaître à priori si l’embryon deviendra une annélide, ou si, arrêté aux derniers rangs de l’embranchement, il appartiendra au groupe des vers lisses, aux némertes par exemple. L’incertitude est ici de courte durée. Des anneaux se prononcent et se multiplient rapidement, se formant toujours d’avant en arrière à la suite du dernier venu. L’embryon sera donc un annelé à corps partagé en segmens. Il rappelle ainsi la forme extérieure des sangsues ; mais des soies se montrent sur les côtés. Le jeune être serait-il donc voisin des vers de terre ou des naïs qui ont des anneaux distincts, des soies et pas de pieds ? Non, car voici des mamelons qui font saillie sur les flancs de chaque segment. L’embryon appartient au groupe des annélides proprement dites. Reste à savoir s’il parcourra la plage sa patrie sous la forme d’annélide errante, ou si, confiné dans un tube étroit, il mènera la vie retirée d’une tubicole. Ce dernier doute ne tarde pas à cesser. Un petit tubercule se montre en avant du front s’allonge, et commence à jouer le rôle dévolu aux filamens extensibles dont nous avons parlé. D’autres appendices semblables naissent à côté du premier. Dès ce moment, l’animal, pourvu des organes nécessaires pour assurer ses rapports avec le monde extérieur, cesse de se mouvoir librement en tout sens, s’entoure d’un tube, et commence sa vie de cénobite.

On le voit, à chaque phase de son développement, la nature propre de la térébelle s’est de plus en plus caractérisée. Nous avons reconnu successivement que l’embryon soumis à nos recherches était un annelé, puis un annelé à corps segmenté, puis une annélide proprement dite, puis une tubicole. Quelque temps encore, et nous reconnaîtrions son genre et son espèce. C’est à peu près comme si, intéressés à prendre des renseignemens détaillés sur un individu, nous apprenions d’abord qu’il est né dans l’ancien continent, plus tard qu’il est Européen, et