Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 17.djvu/125

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui, en la mettant à l’abri des attaques de la France, fortifiait ainsi l’unique citadelle où le drapeau de l’indépendance européenne fût encore arboré, et qui pût servir de point d’appui aux nations alors asservies le jour où elles tenteraient de recouvrer leur liberté.

En résumé, la chute de Napoléon était l’inévitable conséquence de l’excès de sa grandeur, et, dans l’état actuel de la civilisation, une destinée pareille attend tout gouvernement qui oserait marcher sur ses traces. Quel argument contre l’ambition et la guerre ? Et cependant on aurait tort d’en conclure qu’à une époque quelconque, grace aux progrès de la raison générale, il n’y aura plus de conquêtes ni de guerres. Les passions humaines nous interdisent de le croire. Oserai-je dire qu’un tel résultat ne serait pas même désirable, et qu’il n’entre évidemment pas dans les vues de la Providence telles qu’on peut les déduire de l’organisation de notre nature et des leçons fournies par l’histoire ? Il y a évidemment dans l’ame humaine de nobles et hautes facultés qui ne peuvent trouver leur emploi que dans les combats. L’expérience prouve d’ailleurs que, si la guerre finit par épuiser les nations et arrête quelquefois chez elles les progrès de la civilisation et des lumières, bien plus souvent, bien plus infailliblement une paix trop prolongée les corrompt, les énerve et prépare leur abaissement ou leur ruine. On ne saurait nier enfin que, dans tous les temps, les souvenirs de l’héroïsme militaire ont été la plus noble part des traditions des peuples, celle qui les a le mieux recommandés à la postérité, qui les a le mieux protégés dans leur décadence même. Comment concilier ces contradictions apparentes ? comment comprendre que tant d’utiles résultats puissent découler d’une aussi effroyable calamité ? C’est là un des côtés de ce problème qui, en toutes choses, nous montre le mélange du bien et du mal comme la loi suprême de l’univers, comme la condition de toute existence. La solution de ce problème dépasse les forces de l’homme, mais heureusement elle ne lui est nécessaire ni pour la conduite de la vie privée, ni pour la direction des affaires publiques. A défaut d’une logique impuissante, la conscience et le bon sens lui tracent la route qu’il doit suivre, et un gouvernement n’a pas besoin de pénétrer dans les abîmes de cette question redoutable pour accomplir les devoirs de sa haute mission : il lui suffit d’obéir, avec intelligence et fermeté, aux simples, aux vulgaires préceptes de cette sagesse en quelque sorte proverbiale qui veut qu’on travaille à conserver la paix avec la ferme conviction que la guerre doit venir un jour, que, dans certains cas, elle n’est pas le plus grand des maux, et qu’il faut quelquefois savoir l’accepter sans trop de regret, bien qu’il soit toujours criminel de chercher à la faire naître.


L. DE VIEL-CASTEL.