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rentré dans un système de paix et de modération, il aurait rendu à eux-mêmes les pays dont l’occupation n’avait été pour lui qu’un instrument de guerre. Ces idées, qu’il a plus d’une fois exprimées après sa chute, je suis convaincu que ce n’étaient pas purement et simplement des argumens inventés après coup, à titre d’apologie. Sans croire qu’elles aient été les vrais mobiles de ses entreprises, je suis disposé à admettre qu’elles ont plus d’une fois traversé son esprit, et, jusqu’à un certain point, rassuré sa raison au temps de ses plus grands entraînemens, dans les intervalles de calme où une voix secrète l’avertissait de ne pas pousser à bout sa fortune.

C’étaient là, pourtant, d’étranges illusions, de déplorables sophismes, dont sa haute intelligence eût facilement pénétré la vanité si ses passions ne l’eussent aveuglé. Elle lui eût dit que l’ambition ne peut impunément dépasser certaines limites ; que, lorsqu’on est arrivé par la violence à un certain point d’élévation, on ne peut en descendre sans se précipiter ; qu’après avoir mortellement blessé et humilié les gouvernemens et les peuples, on essaierait vainement de rentrer à leur égard dans les bornes de la modération et de la justice ; que, dans leurs ressentimens et leurs défiances trop justifiés, ils prennent pour des marques de faiblesse toute tentative de réconciliation faite par leurs anciens oppresseurs ; qu’à leur tour ils deviennent exigeans, et qu’ils n’acceptent de premières concessions que pour se mettre en mesure d’en arracher bientôt de nouvelles. Napoléon put le reconnaître aux jours du malheur, lorsqu’il eut à son tour à demander la paix. On se montra envers lui aussi dur, aussi rigoureux qu’il l’avait été envers les vaincus au temps de ses triomphes, et peut-être, en refusant l’abaissement auquel on voulait le réduire, ne fut-il pas aussi mal inspiré qu’on l’a souvent répété. Il est difficile de se figurer ce qu’il fût devenu après une pacification qui eût réduit son empire et anéanti son influence extérieure, qui l’eût laissé seul, affaibli, humilié, en présence d’une coalition enorgueillie de sa tardive victoire, étroitement unie contre lui, surveillant toutes ses démarches, tous ses mouvemens, lui en demandant compte avec une jalousie mêlée de terreur, et ne lui permettant pas même d’exercer, sur la politique générale, la part d’influence qui doit appartenir au souverain d’un grand état. On ne peut croire qu’il eût longtemps supporté cette situation ; la lutte eût bientôt recommencé, lutte inégale, où il aurait succombé parce que la France était épuisée, parce que la fortune ne revient guère aux favoris qu’elle a une fois abandonnés après les avoir comblés de ses dons. Sainte-Hélène ou quelque chose d’analogue eût également terminé cette prodigieuse existence, et la catastrophe, plus lente, plus graduée, eût eu moins d’éclat et de grandeur.

J’ai dit que Napoléon, pour excuser ses témérités et ses excès, pour