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tions accessoires, et même de celles qui ont le plus embarrassé les savans, ou d’expliquer pour l’idiome gaulois et la langue vulgaire des premiers siècles de la monarchie l’absence complète de monumens écrits. C’est à la solution de ce problème que sont consacrées les recherches de M. Barrois. Dans la première partie, il s’attache à démontrer que les lettres des plus anciens alphabets, telles que celles de l’alphabet de Tyr, de l’alphabet punique, syriaque, etc., doivent être considérées comme des imitations de signes digitaux, et que les premières expressions graphiques de la parole ne sont rien autre chose que de la dactylologie.

Après avoir recherché les traces de la dactylologie dans les alphabets les plus anciens, M. Barrois arrive à l’idiome de la Gaule ; il s’attache à prouver que la langue gauloise n’a jamais été écrite, et que, jusqu’au IXe siècle, il en a été de même de la langue vulgaire qui s’est substituée au gaulois. Charlemagne le premier aurait tenté d’appliquer la graphie à la langue vulgaire et de familiariser le peuple avec l’écriture, mais sans études préalables et par le seul emploi des signes digités, précurseurs de la représentation graphique, à laquelle les plus ignorans eux-mêmes se seraient initiés sans efforts. L’empereur aurait, dans ce dessein, fait composer, pour l’appliquer à la langue théotisque, un alphabet, qui formait la base et le point de départ de la Grammaire impériale, élaborée par les hommes les plus savans du siècle. Cet alphabet nous a été transmis par Trithème, qui, tout occupé de théurgie, l’avait assimilé aux écritures cabalistiques. M. Barrois en donne une reproduction exacte, et en le comparant au démotique égyptien, en traduisant la figure des lettres en signes digités, il y retrouve, ainsi qu’il le dit, les antiques traditions de la dactylologie primitive.

La seconde moitié du livre de M. Barrois, entièrement distincte de la première, est consacrée à 1-’étude des origines de notre littérature. Dans la partie intitulée Romane étrangère, l’auteur s’applique à montrer qu’il ne suffit pas de rejeter l’opinion de M. Raynouard, qui établit une langue romane universelle, mais qu’il faut isoler complètement les troubadours provençaux, que jusqu’à la fin du XVe siècle, ils ont eu une langue particulière, et que non-seulement ils sont restés étrangers à la France, mais qu’ils lui ont toujours été très vivement hostiles. — Dans la quatrième et dernière partie de son livre, M. Barrois trace l’histoire de la langue d’oil, qu’il appelle romane septentrionale française, et il s’attache à combattre et à réfuter l’opinion de M. Fauriel, qui, entraîné, malgré son vaste savoir et la haute portée de son esprit, par des préoccupations exclusives, faisait remonter jusqu’à la Provence l’origine de nos chansons de gestes.

Le livre de M. Barrois n’est pas un livre d’érudition banale ; tout ce qui touche à l’alphabet carlovingien, à l’application de la graphie au langage théotisque, peut être considéré comme une véritable découverte ; la critique philologique des deux dernières parties est ferme et savante. Les textes nombreux cités dans loua gage, peu connus pour la plupart, présentent un intérêt véritable ; mais il est un reproche que nous adresserons à l’auteur : son livre manque de clarté, ce qui provient, non pas du sujet même, mais de l’agencement et de la disposition générale, et, s’il rappelle le savoir et la patience des érudits du XVIe siècle, il rappelle, un peu trop aussi leurs procédés de mise en œuvre.


V. de Mars.