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que les Américains débarquent à Tampico en nombre toujours croissant, le général en chef de la république reste enfermé dans son camp de San-Luis, et passe le temps à donner des fêtes, à jouer au monte ou à faire battre des coqs. A Mexico, le vice-président Gomez Farias procède rigoureusement à l’application de ses théories radicales, et s’est enfin résolûment attaqué au clergé. Le 11 janvier dernier, il a été promulgué une loi qui confisque au profit de l’état une grande portion des biens ecclésiastiques et en autorise la vente jusqu’à concurrence de 15 millions de piastres. La guerre religieuse pourrait bien éclater en même temps que la guerre civile : la protestation énergique du clergé, l’interdit dont il a frappé la capitale, l’influence absolue qu’il exerce sur certaines provinces, sont autant de motifs qui doivent amener l’explosion d’un nouvel élément de discorde. Un mot seulement encore, pour qu’on saisisse toute cette anarchie matérielle et morale dans laquelle se débat le Mexique : il y a eu quatorze ministres des finances en moins de douze mois. Il est impossible de se figurer le sort que l’avenir réserve maintenant à ce malheureux pays, si quelque autorité honnête et vigoureuse ne sort enfin, comme par désespoir, du milieu de ces désastres. L’Europe, qui s’estimerait heureuse de pouvoir traiter à Mexico avec un gouvernement régulier, s’empresserait assurément de lui donner tout son appui.

Les commissions de la chambre achèvent d’élaborer les projets qui leur ont été soumis. Au milieu des discussions sur les affaires viendra un débat tout politique provoqué par la proposition de M. Duvergier de Hauranne sur la réforme électorale. La chambre a eu raison d’autoriser la lecture de cette proposition, et de permettre qu’elle fût l’objet d’un premier débat. Ceux des conservateurs qui ont voté cette autorisation n’ont pas voulu que l’opposition pût leur reprocher de se servir de la supériorité du nombre pour étouffer les discussions. Ce sentiment n’est pas moins politique qu’honorable. Sans croire qu’il y ait urgence à changer la loi électorale, on peut penser qu’il n’est pas sans utilité pour la chambre et pour le pays de connaître les griefs que des esprits sérieux croient devoir articuler contre la législation en vigueur, ainsi que les changemens qu’ils proposent en s’efforçant de les rendre pratiques et modérés. La proposition de M. Duvergier ne nous transporte pas dans la région des utopies ; elle ne bouleverse rien de fond en comble : aussi les partis extrêmes ne lui ont pas fait un très bienveillant accueil. C’est ce qui, aux yeux de plusieurs conservateurs, a donné à cette proposition le caractère d’une question mise consciencieusement à l’étude. Si, à la chambre, quelques esprits ardens veulent en faire une arme d’opposition, ils nuiront à la cause qu’ils prétendent servir. Il faut étudier le problème de bonne foi, sans tomber dans des récriminations amères et injustes, car ici personne n’est en possession de la vérité, et, dans la pratique de nos mœurs électorales, quel parti oserait se dire irréprochable ?

La chambre a accueilli la nouvelle de la mort de M. Martin du Nord avec des démonstrations tout-à-fait honorables pour sa mémoire. M. Martin du Nord est un des hommes qui, depuis 1830, ont été le plus mêlés au mouvement des affaires ; tour à tour rapporteur de commissions importantes, vice-président de la chambre, procureur-général près la cour royale de Paris, deux fois ministre du commerce et des travaux publics, garde-des-sceaux, il s’était fait au sein du parlement beaucoup d’amis par son aménité et son obligeance.