Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 17.djvu/1160

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de fer mettaient Paris aussi près de Londres que la ville d’York. C’est cette étroite connexité entre les deux pays qui fait que les hommes pratiques et positifs ne peuvent plus voir dans l’éventualité d’une guerre entre la France et l’Angleterre qu’une pensée folle et un attentat à la cause de la civilisation.

Aussi le bon sens anglais condamne-t-il au fond l’exagération que lord Palmerston a portée dans les affaires d’Espagne. Sans doute on ne s’est pas écrié en plein parlement, comme on vient de le faire dans le meeting de Londres, qu’il est monstrueux de voir tous les grands résultats de l’alliance anglo-française mis en danger par la question de savoir qui épousera la sœur de la reine Isabelle ; mais les esprits les plus éclairés n’ont pu méconnaître qu’en poussant à l’extrême l’expression de son mécontentement et de sa résistance, lord Palmerston avait créé lui-même pour l’avenir des embarras à la politique de son pays. A-t-il grandi l’Angleterre aux yeux de l’Europe, parce qu’il l’a séparée violemment de la France et de l’Espagne ? En brisant la quadruple alliance, n’a-t-il pas agi comme s’il eût été en quelque sorte le mandataire des cabinets du Nord ?

Au reste, il a produit un effet que sans doute il ne cherchait pas. Il a blessé profondément la juste susceptibilité du caractère espagnol. Quand, obéissant aux inspirations de lord Palmerston, M. Bulwer a rappelé, dans sa noté du 5 septembre dernier, au gouvernement de la reine Isabelle que l’Espagne avait eu, au commencement du siècle, les armées et les trésors de la Grande-Bretagne pour défendre son indépendance, M. Isturitz lui a répondu qu’en effet les pertes qu’avait faites l’Espagne de ses immenses possessions extérieures, celle de Gibraltar sur son propre territoire, la destruction récente de ses flottes pendant la guerre, lui avaient laissé des souvenirs qui ne sont ni oubliés, ni inutiles, et qui lui apprenaient à ne compter que sur sa propre force et sur sa propre équité. À la déclaration que le gouvernement britannique regardera la descendance du mariage de M. le duc de Montpensier comme inhabile à succéder en aucun cas au trône d’Espagne, la réponse du gouvernement espagnol n’a pas été équivoque. « Le duc de Montpensier, fait remarquer M. Isturitz dans sa réplique du 14 novembre dernier, est actuellement séparé de la succession éventuelle au trône de France par neuf princes, et ses enfans pourraient donc monter sur le trône d’Espagne par le droit de leur mère sans compromettre l’union des deux couronnes. » Tout en affectant une sollicitude protectrice pour l’indépendance de l’Espagne, la diplomatie de lord Palmerston oublie toujours que les questions qu’elle tranche si lestement sont entièrement espagnoles. C’est l’Espagne seule qui doit décider souverainement les difficultés dont la solution appartient à l’avenir. Dans sa note du 14 novembre, M. Isturitz rappelle avec beaucoup d’à-propos l’art. 53 de la constitution espagnole, qui porte en termes exprès : « Tout doute qui, de fait ou de droit, s’élèvera relativement à la succession au trône sera résolu par une loi. » Dans la discussion de l’adresse au sein des cortès, la même pensée a dominé : M. Martinez de la Rosa a soutenu, aux applaudissemens du congrès, que la politique qui avait présidé aux deux mariages de la reine et de sa sœur avait été éminemment espagnole, et qu’on avait tenu compte de la volonté de la nation, qui n’était nullement disposée, pour l’avenir, à se courber sous une influence étrangère. Cet orateur a aussi démontré que l’équilibre de l’Europe ne courrait aucun danger quand même on verrait dans l’avenir deux cousins germains assis sur les deux trônes d’Espagne et de France. Dans le dernier