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toutes les cannes à sucre des diverses plantations du voisinage, tiges, replants et racines ; puis il les avait entassées dans un vaste magasin auquel il avait mis le feu, de sorte qu’il n’en était pas même resté pour la semence, et depuis ce temps la plante avait complètement disparu du pays. Cette explication n’est pas tout-à-fait dénuée de vraisemblance, en supposant que l’Anglais eût agi pour le compte de son gouvernement ; cependant ceux qui aiment le merveilleux en ont trouvé une autre. Selon leur version, Imam-Reza, l’un des douze successeurs, canonisés du prophète, et celui précisément dont on va visiter la tombe en pèlerinage à Meshed, avait un goût très prononcé pour les bonbons. Pendant un séjour à Meshed, il éprouva un vif désir de se procurer du sucre d’Ahvaz et en fit demander aux habitans de cette dernière ville ; mais ceux-ci, par avarice, le lui refusèrent. Le saint homme, vindicatif comme tout dévot musulman, pria aussitôt le ciel pour qu’Ahvaz ne produisit plus de canne à sucre. Sa prière fut entendue, et, pour que la punition de ceux qui l’avaient offensé fût plus exemplaire, toutes les cannes à sucre furent immédiatement transformées en scorpions. La preuve que cette histoire est parfaitement vraie, c’est qu’on trouve aux environs d’Ahvaz prodigieusement de scorpions.

La distance de Shouster à Dizfoul, la capitale actuelle du Khouzistan, est d’environ douze lieues. Située sur la rive gauche de la rivière du même nom (le Dizsoul, l’ancien Copratas), la ville de Dizfoul a une grande analogie avec Shouster. Les maisons offrent le même modèle de construction élevée et spacieuse, les mêmes toits en terrasses et les mêmes voûtes souterraines destinées à servir d’abri pendant les chaleurs. La rivière qui coule sous les fenêtres du palais du gouvernement n’est pas aussi large que le Kouran, mais les flots en sont aussi rapides. Un grand nombre de moulins, perchés sur les rochers et sur les petites îles qui en interceptent le cours, sont unis entre eux par un réseau de petits ponts très pittoresques qui donnent au paysage une physionomie chinoise. Ces ponts sont éclairés la nuit, ce qui produit sur la rivière une illumination des plus brillantes. Un pont de vingt-deux arches, à l’extrémité occidentale de la ville, est attribué par les habitans à un prince d’une dynastie antérieure à Zoroastre ; mais il est aisé d’y reconnaître une construction sassanienne.

A sept lieues de Dizfoul, on rencontre les ruines de Shoush. Dans ces ruines, M. de Rode croit retrouver la fameuse Suze, la plus ancienne et la plus célèbre capitale de la Perse. Le premier monument qu’on remarque en venant de Dizfoul à Suze est le tombeau du prophète Daniel, rendez-vous, à tous les jours de fête, d’une grande partie de la population musulmane, qui a pour ce saint prophète une vénération plus grande encore que celle des chrétiens. Un rideau de palmiers entoure ce monument surmonté d’une pyramide de marbre blanc, découpée extérieurement en compartimens triangulaires imitant les sections d’une ruche de mouches à miel. Il est évident que le tombeau de Daniel a subi diverses restaurations, car le style de l’architecture actuelle trahit une date assez récente. Rien n’y rappelle l’antique que quelques fragmens de pilastres en marbre blanc, dont les chapiteaux sculptés en feuilles de lotus témoignent d’une époque contemporaine de celle de Suze. Dans l’intérieur d’une cellule carrée, on voit une bière en bois noir qui est censée contenir les restes de Daniel, et qui se trouve séparée du chœur par un grillage dans le genre de ceux qui entourent les tombeaux