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La vallée de Shab-e-Bevan est, nous l’avons dit, occupée par les Mamaseni. Les deux villes principales qu’elle renferme, Fahlyan et Basht, n’ont rien de remarquable. A peine a-t-on dépassé l’extrémité occidentale de cette vallée, qu’on est sur le territoire d’une autre branche de la famille des Lours, les Khogilous. Ce territoire porte le nom de la ville de Behbehan, qui en est la capitale. De Bahst à Behbehan, sur un espace de seize lieues tout sillonné de canaux effondrés et d’anciens débris de caravanséraïs et de villages, on n’aperçoit ni une goutte d’eau ni une habitation. La traversée de ce désert fut marquée cependant pour M. de Bode par une rencontre intéressante, celle d’une troupe d’Ilyats qui abandonnaient les montagnes ardekanaises pour aller s’installer dans la plaine autour d’Ispahan, où ils s’étaient donné rendez-vous avec une autre émigration venue d’un point tout opposé, c’est-à-dire des districts méridionaux de la province de Fars. M. de Bode décrit ainsi cette caravane : « Des troupeaux de chèvres et de moutons ouvrent la marche, conduits par les jeunes hommes, la fleur et l’élite de la tribu, accompagnés de leurs chiens fidèles, une espèce de terriers à longs poils. Puis viennent les ânes et les bœufs porteurs (ceux-ci d’une très petite race), montés par les membres les plus faibles et les plus âgés de la communauté, ou bien chargés de rouleaux de toile noire et de poteaux qui doivent servir à la construction des tentes. Par-dessus tout cela, on a jeté les sacs contenant les provisions et attaché par l’aile ou par la patte tout ce que la tribu possède en oiseaux de basse-cour. Tandis que les pauvres volatiles s’exercent à se tenir en équilibre, hommes, femmes et enfans suivent la caravane à pied, marchant séparément ou par groupes, et chacun portant quelque meuble ou quelque ustensile. Les chevreaux ou agneaux nés sur la route sont recueillis dans des paniers et portés au bras, ou bien encore sur le dos des bêtes de somme. Les femelles pleines et les animaux boiteux ont leurs conducteurs séparés, qui tantôt les encouragent doucement à. marcher, tantôt s’arrêtent avec eux et les nourrissent quand ils sont fatigués. » Comment ne pas être frappé de cette mise en action naïve de la prophétie d’Isaïe : « Il paîtra son troupeau avec la tendresse du berger ; il recueillera les agneaux entre ses bras et les portera dans son sein ; il conduira doucement celles qui allaitent ? » - « Les jeunes filles, leurs fuseaux à la main, filent tout en marchant ; les femmes mariées s’avancent lentement, portant sur leur dos courbé un enfant qui passe ses petits bras autour de leur cou, ses jambes autour de leur taille. Un plus petit marmot sera quelquefois suspendu dans nu sac attaché aux épaules, tandis que l’enfant au maillot trouvera encore de la place sur la tête de la pauvre mère. »

La ville de Behbehan, qu’on atteint après une pénible marche de seize lieues, est célèbre par ses teinturiers. Les habitans ont pour le mélange des couleurs un secret qui en assure la finesse et la durée, secret dont ils sont par conséquent fort jaloux. Le sol autour de Behbehan est riche et bien arrosé ; il ne lui manque pour donner de beaux revenus à la Perse qu’une population suffisante pour tirer parti de la terre, et surtout une administration plus intelligente et plus stable. La végétation est magnifique et très variée. On remarque dans les jardins les arbres de l’Europe et de l’Asie. Le palmier, le grenadier, l’oranger, prospèrent à côté du pêcher et de la vigne. Enfin les prairies comme celles de la vallée de Shah-e-Bevan sont couvertes d’un odorant tapis de narcisses.

Au sortir de Behbehan, on franchit le fleuve nommé Tab, l’Agradates d’Hérodote,