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Bode s’est attaché surtout à l’étude des bas-reliefs perso-médiques et des inscriptions cunéiformes. Ses recherches appellent l’attention des lecteurs spéciaux auxquels elles s’adressent ; pour nous, c’est au-delà de Persépolis que nous irons retrouver le voyageur, encore charmé des merveilles qu’il lui a été donné de contempler et se dirigeant enfin vers les régions inconnues où il s’est décidé à pénétrer.

Pour se rendre de Persépolis à Shiraz, le pont de Paul-e-Khan jeté sur l’Araxe serait la route la plus directe ; mais quiconque a lu le charmant poème de Lalla Rookh veut traverser l’Araxe à la fameuse écluse construite au Xe siècle par l’émir Zouzun-Deylemi, d’où vient à la rivière en avant de cette construction le nom de Bencl-Emir ou rivière de la digue de l’émir. Près de cette rivière s’élève un joli village d’une soixantaine de maisons, enfoncé dans la verdure, dominé par des rochers pittoresques, et tout retentissant du bruit de vingt moulins établis sur la digue. L’aspect de Shiraz, où l’on ne tarde point à arriver, n’est pas fait pour dissiper les riantes impressions qu’éveillent les rives pittoresques du Bend-Emir. Là encore des souvenirs poétiques ajoutent leur prestige aux magnificences de la nature. Célèbre par ses jardins et ses vignobles, Shiraz l’est plus encore par ses deux poètes philosophes, Saadi et Hafiz, dont on trouve ici les tombeaux. Cette ville est la capitale de la province de Fars. Bien que Fars soit la plus riche division de l’empire, les impôts y sont considérablement arriérés, et les ressources des contribuables tellement épuisées, qu’elles ne peuvent plus suffire aux exigences du gouvernement. Cependant la taxation annuelle n’est que de 360,000 tomans ou 180,000 livres sterling, et, le sol étant extrêmement fertile, les produits très variés, le pays devrait pouvoir en acquitter le double. Les causes de cette gêne sont la mauvaise administration de la province et l’insécurité de la propriété. Depuis la mort de Fatteh-Ali-Shah, vers la fin de 1834, la province de Fars a passé par les mains de six gouverneurs différens. Chacun d’eux a eu à payer, outre le fermage nominal, des pots-de-vin considérables pour obtenir la préférence sur ses rivaux, et il a dû se rembourser, aux dépens de ses administrés, par toute espèce d’extorsions.

Shiraz vit mourir, il y a sept ans, une de nos compatriotes, Mme de La Marinière, qui avait lutté d’énergie et d’intrépidité avec les plus aventureuses des femmes touristes de la Grande-Bretagne. D’un caractère fort excentrique, cette dame, par goût pour les voyages, s’était hasardée toute seule dans ces contrées lointaines, où elle était entrée au service d’Abbas-Mirza, l’héritier présomptif de la couronne de Perse, en qualité de gouvernante et maîtresse de langue française de ses enfans. D’un cœur bon et généreux, elle s’était fait adorer dans ce pays par son courage et son dévouement. A l’époque du choléra, elle visita et soigna les pestiférés, bien qu’à peine relevée elle-même de cette maladie, dont elle fut une des premières atteinte. Sa mort, toute récente, avait été la suite de sa propre imprudence. Déjà, quelques années auparavant, elle avait accompli le voyage de Tabriz à Shiraz ; bien plus, elle avait écrit un journal de ce voyage, et elle avait publié en même temps une description des ruines de Persépolis, illustrée par les dessins d’un artiste persan qu’elle avait décidé à l’accompagner. Dans le printemps de 1840, il lui vint en idée d’explorer les provinces de Fez et de Darabjird, malgré tout ce que purent lui dire ses nombreux amis pour la détourner de ce projet, ou pour lui persuader au moins d’en différer l’exécution