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même, quand lord William vint me voir dans ce village, quand il fixa sur moi son regard si semblable à celui de sa mère, quand sa voix, qui avait un accent bien connu, me dit, ainsi que le faisait Mme Meredith : — Ami docteur, je vous remercie ! alors, souriez, mesdames, si vous le voulez, je pleurai, et je crus, avec tout le village, qu’Eva Meredith était là devant moi !

Cette femme dont l’existence ne fut que longs malheurs, a laissé, après sa mort, un souvenir doux, consolant, qui n’a rien de pénible pour ceux qui l’ont aimée. En songeant à elle, on songe à la miséricorde de Dieu, et, si l’on a une espérance au fond de son cœur, on espère avec une plus douce confiance.

Mais il est bien tard, mesdames ; depuis long-temps vos voitures sont devant le perron. Excusez ce long récit ; à mon âge, on ne sait pas être bref en parlant des souvenirs de sa jeunesse. Pardonnez au vieillard de vous avoir fait sourire à son arrivée et pleurer quand vous l’avez écouté.

Ces dernières paroles furent dites du ton le plus doux et le plus paternel, tandis qu’un demi-sourire effleurait les lèvres du docteur Barnabé. Chacun alors s’approcha de lui, on commença mille remercîmens ; mais le docteur Barnabé se leva, se dirigea vers sa redingote de taffetas puce déposée sur un fauteuil, et, tandis qu’un de ses jeunes auditeurs l’aidait à s’en vêtir : « Adieu, messieurs ; adieu, mesdames, dit le médecin du village ; ma carriole est là, la nuit est venue, le chemin est mauvais, bonsoir : je pars. »

Quand le docteur Barnabé fut installé dans son cabriolet d’osier vert, que le petit cheval gris, chatouillé par le fouet, fut au moment de partir, Mme de Moncar s’avança vivement, et, un pied posé sur le marchepied de la voiture, se penchant vers le docteur Barnabé, elle lui dit tout bas, bien bas :

— Docteur, je vous donne la maison blanche, et je la ferai arranger telle qu’elle était quand vous aimiez Eva Meredith !

Puis elle s’enfuit ; les voitures et la carriole verte partirent dans des directions différentes.




On a lu ce touchant récit, qui semble échappé à la plume de l’auteur d’Ourika. C’est la même sensibilité, la même finesse : oserons-nous ajouter que la tradition se continue sur d’autres points ? Ce n’est pas chose indifférente que le milieu où naissent les productions de l’esprit, et, pour les deux écrivains, ce milieu