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mon cœur de joie ; puis, répétant les paroles d’Eva Meredith, ces paroles qu’elle disait bien qu’il retrouverait au fond de son cœur, l’enfant reprit à haute voix

— Je me meurs, mon fils ; ton père est mort ; tu es seul sur la terre ! Il faut prier le Seigneur !

J’appuyai doucement ma main sur l’épaule de William pour le faire s’incliner et se mettre à genoux ; il s’agenouilla, joignit tout seul cette fois ses deux mains tremblantes, et levant vers le ciel un regard plein de vie : — Mon Dieu ! ayez pitié de moi ! murmura-t-il.

Je me penchai vers Eva, je pris sa main glacée. — O mère ! mère qui as tant souffert, m’écriai-je, entends-tu ton enfant ? le vois-tu de là-haut ? Sois heureuse ! ton fils est sauvé ! pauvre femme qui as tant pleuré !

Eva, étendue morte aux pieds de lady Mary, cette fois pourtant faisait trembler sa rivale, car ce ne fut pas moi qui emmenai William hors de la chambre ; ce fut lord J. Kysington qui emporta son petit-fils dans ses bras.

Que vous dirai-je, mesdames ? William retrouva la raison et partit avec lord J. Kysington. Plus tard, réintégré dans ses droits, il fut l’unique héritier des biens de sa famille. La science a constaté quelques-uns de ces rares exemples d’une intelligence ranimée par une violente secousse morale. Ainsi donc le fait que je vous raconte trouve là son explication naturelle ; mais les bonnes femmes du village, qui avaient soigné Eva Meredith pendant sa maladie, et qui avaient entendu ses ferventes prières, sont convaincues qu’ainsi qu’elle l’avait demandé au ciel, l’ame de la mère a passé dans le corps de l’enfant.

— Elle était si bonne, disent les villageois, que Dieu n’avait rien à lui refuser. Cette naïve croyance est parfaitement établie dans le pays. Personne ne pleura Mme Meredith comme morte.

— Elle vit encore, disent les habitans du hameau ; parlez à son fils, c’est elle qui vous répondra.

Et lorsque lord William Kysington, devenu possesseur des biens de son grand-père, envoya chaque année d’abondantes aumônes au village qui le vit naître et vit mourir sa mère, les pauvres s’écrièrent : — Voilà cette bonne ame de Mme Meredith qui pense encore à nous ! Ah ! quand elle s’en ira au ciel, les malheureux seront bien à plaindre !

Ce n’est pas sur sa tombe que nous portons des fleurs, mais sur les marches de l’autel de la Vierge, où elle priait si souvent Marie d’envoyer une ame à son fils. En déposant là leurs bouquets de fleurs des champs, les villageois se disent entre eux :

— Quand elle priait avec tant de ferveur, la bonne Vierge lui répondait tout bas : « Je donnerai ton ame à ton enfant !

Le curé a laissé à nos paysans cette touchante croyance, et moi-