Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 17.djvu/1127

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dire à ta mère au désespoir ! Jusqu’à présent, je ne t’ai demandé que de me rendre les traits de ton père et de me laisser du silence pour que je puisse pleurer sans contrainte. Aujourd’hui, William, il me faut des paroles de toi ! Ne vois-tu pas mes larmes, ma terreur ? Cher enfant, toi si beau, si pareil à ton père, parle, parle-moi !

Hélas ! hélas ! l’enfant resta sans mouvement, sans effroi, sans intelligence ; un sourire seulement, un sourire horrible à voir effleura ses lèvres. Eva cacha sa figure dans ses deux mains, et resta à genoux sur la terre. J’entendis long-temps le bruit de ses sanglots.

Alors je demandai au ciel de m’inspirer des pensées consolantes qui pussent apporter à cette pauvre mère une lueur d’espoir. Je lui parlai de l’avenir, de guérison à attendre, de changement possible, probable ; mais l’espérance ne se prête guère au mensonge. Là où elle n’existe pas, elle ne se laisse pas entrevoir. Un coup terrible, un coup mortel avait été porté, et Eva Meredith venait de comprendre toute la vérité.

A dater de ce jour, un seul enfant descendit chaque matin dans le cabinet de lord J. Kysington. Deux femmes y venaient, mais une seule semblait vivre, l’autre se taisait comme ceux qui sont morts ; l’une disait : Mon fils, l’autre ne parlait jamais de son enfant ; l’une portait le front haut, l’autre avait la tête inclinée sur sa poitrine pour mieux cacher ses larmes ; l’une était belle et brillante, l’autre était pâle et vêtue de noir. La lutte était finie. Lady Mary triomphait.

On laissait Harry jouer sous les yeux d’Eva Meredith ; c’était cruel. Sans prendre souci des angoisses de cette femme, on amenait Harry répéter des leçons en présence de son oncle ; on vantait ses progrès. La mère ambitieuse calculait toutes choses pour consolider le succès, et, tandis qu’elle avait de douces paroles, de feintes consolations pour Eva Meredith, elle lui torturait le cœur à chaque instant du jour. Lord J. Kysington, frappé dans ses plus chères espérances, avait repris la froide impassibilité qui m’avait tant effrayé. Maintenant c’était, je le voyais, le dernier mot de son caractère, c’était la pierre qui scelle un tombeau. Strictement poli envers sa belle-fille, il n’avait pour elle nulle parole d’affection ; la fille du planteur américain ne pouvait trouver de place dans son cœur que comme mère de son petit-fils. Cet enfant, il le regardait comme n’existant pas. Lord J. Kysington fut plus que jamais sombre, taciturne, regrettant peut-être d’avoir cédé à mes instances, et d’avoir donné à sa vieillesse une émotion pénible et désormais inutile.

Un an s’écoula, puis un triste jour vint où lord J. Kysington fit appeler Eva Meredith, et lui faisant signe de s’asseoir près de son fauteuil

— Écoutez-moi, madame, dit-il, écoutez-moi avec courage. Je veux agir loyalement envers vous et ne vous rien cacher ; je suis vieux et malade, il faut m’occuper de mes affaires. Elles sont tristes et pour