Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 17.djvu/1121

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ce fut vers lord J. Kysington que je dirigeai mes investigations. Par lui je saurais, et de lui j’obtiendrais la grace. La sévère expression de son visage cessa de m’effrayer. Je me dis : « Quand dans la forêt on rencontre un arbre mort en apparence, on fait une entaille à l’arbre pour savoir si la sève n’est pas vivante encore sous l’écorce morte ; de même je frapperai au cœur, et je verrai si la vie ne se cache pas quelque part. » J’attendis l’occasion.

Attendre avec impatience, c’est faire venir ce que l’on attend. Au lieu de dépendre des circonstances, on soumet les circonstances.

Une nuit, lord J. Kysington me fit appeler ; il souffrait. Après lui avoir donné les soins nécessaires, je restai seul près de lui pour voir les résultats de mes prescriptions. La chambre était sombre ; une bougie allumée laissait distinguer les objets, mais sans les éclairer. La noble et pâle figure de lord J. Kysington était renversée sur son oreiller. Ses yeux étaient fermés. C’était son habitude quand il se préparait à souffrir, comme s’il eût voulu se concentrer en lui-même pour ne rien perdre de sa force morale ; il ne se plaignait jamais ; il restait étendu dans son lit, droit et immobile comme la statue d’un roi sur son tombeau. En général, il se faisait faire une lecture, espérant soit que la pensée du livre s’emparerait de son esprit, soit que le son monotone d’une voix ferait venir le sommeil.

Cette nuit-là, il me fit signe de sa main osseuse de prendre un livre et de commencer à lire ; mais je cherchai vainement, livres et journaux avaient été descendus au salon ; toutes les portes étaient fermées, et, à moins de sonner et de répandre l’alarme dans la maison, je ne pouvais me procurer un livre. Lord J. Kysington fit un signe d’impatience, puis de résignation, et me montra une chaise pour que je revinsse m’asseoir auprès de lui. Nous restâmes long-temps ainsi sans parler, presque dans l’obscurité, l’horloge seule rompant le silence par le bruit régulier du balancier. Le sommeil ne venait pas. Tout à coup lord J. Kysington ouvrit les yeux, et, les tournant vers moi :

— Parlez, me dit-il, racontez quelque chose, ce que vous voudrez.

Ses yeux se refermèrent, et il attendit.

— Mon cœur battit avec force. Le moment était venu.

— Milord, lui dis-je, j’ai bien peur de ne rien savoir qui puisse intéresser votre seigneurie. Je ne puis parler que de moi, des événemens de ma vie, et il vous faudrait l’histoire de quelques grands hommes de ce monde pour fixer votre attention. Que peut raconter un paysan qui a vécu content de peu, dans l’obscurité et le repos ?… Je n’ai guère quitté mon village, milord. C’est un joli hameau dans la montagne ; on n’y serait pas né qu’on le choisirait pour y vivre. — Non loin de mon village, il y a une maison de campagne où j’ai vu des gens riches qui auraient pu partir et qui restaient, parce que les bois sont épais, les