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Eva restait assise près d’une fenêtre, le regard tristement fixé sur le ciel. Cette position, assez familière à tous ceux qui rêvent, attira peu d’abord mon attention ; cependant à la longue elle finit par me frapper. Tandis que mon livre restait ouvert sur mes genoux, je regardais Mme Meredith, et, bien sûr que ses regards ne surprendraient pas les miens, je l’examinais attentivement. Eva regardait le ciel, mes yeux suivaient la direction des siens. « Ah ! me dis-je avec un demi-sourire, elle croit qu’elle ira le retrouver là-haut ! » Puis je repris mon livre en songeant qu’il était heureux pour la faiblesse des femmes que de semblables pensées vinssent au secours de leur douleur.

Je vous l’ai dit, mon séjour au milieu des étudians avait mis de mauvaises idées dans ma tête. Chaque jour cependant je voyais Eva dans la même attitude, et chaque jour mes réflexions étaient ramenées vers le même sujet. Peu à peu j’en arrivai à songer qu’elle avait là un bon rêve. Je me mis à regretter de ne pouvoir croire que ce rêve fût vrai. L’ame, le ciel, la vie éternelle, tout ce que mon curé m’avait appris autrefois passait dans mon imagination, tandis que je restais assis le soir devant la fenêtre ouverte. Je me disais : « Ce que le vieux curé m’enseignait est plus consolant que les froides réalités que la science m’a laissé entrevoir ! » Puis je regardais Eva, qui regardait toujours le ciel, tandis que les cloches de l’église du village sonnaient au loin, et que les rayons du soleil couchant faisaient briller au milieu des nuages la croix du clocher. Je revins souvent m’asseoir près de la pauvre veuve, persévérante dans sa douleur comme dans ses saintes espérances.

Quoi ! pensai-je, tant d’amour ne s’adresse plus qu’à un peu de poussière déjà mêlée à la terre ; tous ces soupirs ne vont vers aucun but ! William est parti dans ses jeunes années, avec ses vives affections, avec son cœur, où tout était encore en fleur. Elle ne l’a aimé qu’une année, qu’une petite année, et tout est dit pour elle ! Il n’y a au-dessus de nos têtes que de l’air. L’amour, ce sentiment si vivant en nous, n’est qu’une flamme placée dans l’obscure prison de notre corps, où elle brille, brûle, puis s’éteint quand la fragile muraille qui l’entoure vient à tomber : un peu de poussière, voilà tout ce qui reste de nos amours, de nos espérances, de nos pensées, de nos passions, de tout ce qui respire, s’agite et s’exalte en nous !

Il y eut un grand silence au fond de moi-même.

En vérité, j’avais cessé de penser : j’étais comme endormi entre ce que je ne niais plus et ce que je ne croyais pas encore. Enfin, un soir, comme Eva avait joint les mains pour prier, devant la plus belle soirée étoilée qu’il fût possible de voir, je ne sais comment cela se fit, mais mes mains se trouvèrent jointes aussi, et mes lèvres s’entr’ouvrirent pour murmurer une prière. Alors, par un heureux hasard, pour la première fois Eva Meredith regarda ce qui se passait autour d’elle,