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quoique discrète. Une telle différence n’a point échappé aux partis qui divisent la Suisse.

La marche de quelques troupes françaises vers les frontières de Berne, de Genève et de Vaud, et celle de plusieurs bataillons autrichiens vers l’extrémité méridionale du Tessin, ont montré que les deux puissantes et redoutables voisines de la Suisse ne méconnaissaient pas la gravité des événemens qui pouvaient d’un jour à l’autre s’y accomplir. En effet, le canton de Fribourg devenait, à la fin de janvier 1847, le théâtre de violens désordres, dernier fait considérable dont nous ayons à parler. Des assemblées populaires, convoquées par les ennemis avérés de l’influence jésuitique et par les adversaires politiques du pacte séparé, se réunirent en même temps dans les bourgs de Bulle, Romont, Estavayer et Morat. Les esprits, échauffés par quelques griefs réels et par beaucoup d’injures imaginaires, se laissèrent entraîner à l’insurrection. Des colonnes, très imparfaitement armées et complètement dépourvues d’organisation, marchèrent sur Fribourg, où leurs chefs avaient des intelligences ; mais la fermeté du gouvernement, le zèle des paysans allemands, les efforts unanimes et soutenus du clergé, écartèrent promptement le danger. Les assaillans s’enfuirent en désordre et se dispersèrent. Morat et les autres communes mécontentes furent occupés militairement. Il aurait été généreux, et probablement habile, d’accorder ensuite une amnistie ; mais le fâcheux exemple de Lucerne fut suivi et même dépassé par le gouvernement victorieux. Les emprisonnemens et les exils ont atteint presque tous les hommes de quelque importance qui figuraient dans l’opposition. En cette occasion, ce fut encore à un de ces patriciens[1] si durement repoussés des emplois civils, qu’il fallut recourir pour donner une bonne direction aux milices ; et le conseil supérieur de la ligue catholique, obligé de se choisir un nouveau général, a désigné pour cet office un membre d’une maison chevaleresque des Grisons, M. de Salis-Soglio. Suivant une opinion généralement répandue, l’Autriche ne refuse aux armemens dont Lucerne est le centre aucun genre d’encouragement ; mais l’appui indirect de cet empire n’était pas nécessaire pour relever le courage de la ligue, qui venait d’acquérir une preuve nouvelle de la force de cohésion encore subsistante dans les cantons où le clergé continue à diriger les classes inférieures, et de l’inefficacité des attaques à main armée dirigées par le parti radical contre ces pays. L’incertitude, le découragement et les divisions intestines concourent avec une égale intensité à jeter le trouble dans les conseils de ce dernier parti, et, pour établir des conjectures sensées sur les événemens dont la Suisse peut devenir prochainement le théâtre, il faut tenir grand compte de ces dispositions.

  1. M. de Castella.