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prescrire l’abolition, c’était déclarer la guerre civile. Parvenus à ce moment suprême, les partis n’avaient plus qu’à passer en revue leurs forces respectives et à faire l’examen attentif des chances que leur offrait le moment présent. Or, il arrivait que deux révolutions récentes, celle de Berne et celle de Lausanne, levaient toute incertitude sur le vote de deux puissans cantons.

Le parti radical, dans le pays de Vaud, profitant de la fermentation que causait la discussion relative aux jésuites de Lucerne, avait voulu forcer la main au grand conseil, assemblé pour délibérer dans le château de Lausanne. La majorité de ce corps ayant persisté à n’autoriser qu’une invitation amiable de la diète à l’état de Lucerne pour l’éloignement de ces religieux ; la multitude, entraînée par les discours de quelques démagogues, accourut de tous les districts ruraux sur les places voisines du palais. Ces hommes légers, et dont une instruction superficielle ne fait que rendre les passions plus exigeantes, crurent sans peine que le gouvernement et le conseil, vendus aux intérêts des jésuites, allaient trahir la cause commune de la patrie suisse et de la religion réformée. Des assemblées tumultueuses, tenues les 14 et 15 février 1845, décidèrent les pouvoirs réguliers à déposer leur démission, et mirent à leur place une constituante, dominée par les chefs de la faction victorieuse.

Dès-lors, une proscription générale vint frapper ce qui, dans les institutions administratives, littéraires, ecclésiastiques, arrêtait la marche d’une démagogie jalouse, tiraillée par des clubs de bas étage et dominée par quelques tribuns systématiquement hostiles aux traditions de leur pays[1]. La grande majorité des pasteurs, blessés dans leur conscience par les injonctions du nouveau conseil d’état, qui voulait leur imposer la solidarité de ses actes, quitta l’église établie, et les congrégations dissidentes se trouvèrent, dès-lors, remplies par l’élite de la nation. D’ignobles tracasseries, des attaques brutales, des menaces de tout genre, fréquemment dirigées contre ces réunions, n’aboutirent qu’à mettre en lumière la force que des convictions graves et réfléchies auront partout et toujours contre des passions turbulentes et des calculs intéressés. Malheureusement l’académie de Lausanne n’était pas défendue par la même puissance morale, et le parti dominateur n’a point tardé à frapper dans ce corps ce qui restait au pays de supériorités intellectuelles. Cet ostracisme, conçu de longue main et froidement appliqué, atteignit, avec beaucoup d’autres hommes de mérite, un écrivain placé, comme prédicateur, controversiste et critique, à côté des Chalmers, des Néander, des Milman, et qui joint à ces titres,

  1. MM. Druey, Eytel, Delarageaz.