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étaient admis. Bien peu de catholiques prirent part à ces attroupemens, quelques Allemands réfugiés s’y mêlèrent ; mais les corps francs se recrutèrent principalement dans le demi-canton de Bâle-Campagne, dans le canton de Berne et l’Argovie occidentale. Des fonds recueillis par les meneurs de l’entreprise, lesquels comptaient, à la faveur de la guerre civile, renverser le pacte fédéral et s’emparer de la direction suprême des affaires, servaient à faire vivre dans leurs dépôts ces hommes dominés par le fanatisme politique, décidés, d’ailleurs, à s’abstenir de tout pillage, et qui se montrèrent fidèles à cette résolution. Un parti fort considérable dans l’enceinte même de Lucerne correspondait avec eux et attendait impatiemment leur venue. L’action s’engagea dans les rues de la ville le 8 décembre 1844 ; il y avait encore fort peu d’étrangers enrôlés ; les bourgeois opposans soutinrent presque seuls l’effort des milices gouvernementales, auxquelles la victoire demeura complètement. L’administration de Lucerne usa de son triomphe sans ménagement ni pitié. Plusieurs centaines de citoyens, parmi lesquels se trouvaient quelques-uns des hommes du canton les plus considérables, soit par leur fortune, soit par leurs lumières, furent jetés en prison ou forcés de s’expatrier. Ces derniers allèrent grossir les corps francs, dont un échec, qui semblait encore réparable, ne faisait que stimuler l’ardeur. Les gouvernemens de Zurich et de Schaffouse furent sincères dans la condamnation qu’ils portèrent contre l’attaque de Lucerne ; ceux de Berne et d’Argovie la blâmèrent officiellement, sans prendre aucune mesure efficace pour l’empêcher de recommencer. A Liestall, on laissa même l’arsenal de la république à la merci des volontaires, qui s’empressèrent d’y puiser. Provoqué par cette animosité si peu déguisée, le gouvernement de Lucerne redoublait de violence vis-à-vis des adversaires que la fortune des armes avait laissés en son pouvoir. L’étude de l’histoire montre combien il serait chimérique d’attendre après la victoire beaucoup de générosité, soit d’une démocratie où la responsabilité de certains actes rigoureux s’éparpille sur trop de têtes pour ne peser sérieusement sur aucune, soit d’une corporation fermée dans laquelle l’homme disparaît derrière l’associé.

Cependant on voyait s’avancer le printemps de 1845, et les corps francs s’étaient complètement formés. Aucune sorte de discipline militaire ne pouvait s’établir parmi eux ; ils avaient élu pour chef un homme d’un caractère entreprenant, d’une intelligence subtile, calme au milieu de l’exaltation qu’il savait inspirer, mais étranger à l’art de la guerre, et beaucoup plus propre au rôle de tribun qu’à celui de général : c’était M. Ochsenbein. Lucerne lui opposait un vieil officier rempli d’honneur et d’expérience, qui, pour défendre sa patrie, venait de quitter un poste avantageux au service napolitain. M. le général de Sonnenberg appartenait à la classe patricienne, où se conservent encore