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ralliés, dans les discussions politiques qu’ils ne pouvaient éviter, aux principes démocratiques, témoignant une préférence flatteuse pour les hommes nouveaux, pourvu que ceux-ci ne missent aucune borne à leur docilité envers leurs instructeurs spirituels. Cette alliance des intérêts démocratiques et des congrégations religieuses, consommée dans sept cantons, changeait la face politique de la Suisse ; en mettant d’accord deux élémens de puissance simples et vivaces, elle créait un centre de stabilité, un poste de résistance, dans un pays où tout, depuis quelques années, flottait au gré de majorités équivoques, de passions changeantes et de calculs sans cesse modifiés.

Toutefois, en s’établissant à Lucerne, où la nonciature apostolique, quelque temps retirée à Schwytz, venait de reprendre sa résidence, les jésuites savaient qu’ils soulèveraient un vif mécontentement dans la Suisse protestante, une véritable tempête dans les cantons conduits par le principe radical, enfin des inquiétudes sérieuses au dehors. Il est dans l’esprit de ce corps d’aimer le péril et de braver le combat, où il a grandi plus encore que souffert. Bientôt son ascendant devint tel dans le gouvernement de Lucerne, que rien de considérable ne s’y accomplit sans qu’on l’attribuât à ces religieux. Pouvait-on souffrir que la direction suprême de la confédération, quand le tour en reviendrait à Lucerne, fût indirectement remise entre les mains d’une compagnie qui représentait les principes les plus contraires aux révolutions accomplies depuis 1830 en France et en Suisse ? Cette question, les plus modérés même entre les gouvernans protestans n’osaient la résoudre affirmativement ; les autres, et avec eux les petits conseils du Tessin et de Soleure, en rejetaient avec colère le simple examen. La diète, saisie de ces plaintes, décida, mais à une faible majorité, qu’on adresserait à Lucerne une invitation amicale d’éloigner les pères de Jésus. Lucerne répondit résolûment qu’en leur confiant son collège ecclésiastique, elle avait usé d’un droit inhérent à la qualité d’état souverain, et dont, pour rien au monde, elle ne se laisserait dépouiller. L’impossibilité d’obtenir une décision franche, énergique, d’un corps composé comme l’est, aux termes du pacte, le conseil suprême de la confédération suisse, se trouvait avérée pour tous les esprits. Les démagogues, qu’une suite de faciles succès avait accoutumés à ne point s’arrêter dans la poursuite de leurs désirs, résolurent d’arracher par la force ce que la légalité leur refusait, et l’organisation des corps francs[1] commença dans l’hiver de 1844.

Les volontaires qui avaient pris ce nom s’armaient pour une sorte de croisade contre ce qu’ils appelaient les tendances ultramontaines, anti-fédérales et rétrogrades de Lucerne et des autres cantons où les jésuites

  1. En allemand, Freyschaaren.