Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 17.djvu/1063

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’état général du monde ne leur laissait pas espérer de voir la fin. Seules, les questions religieuses offraient en Suisse un caractère menaçant et pouvaient faire craindre des crises immédiates.

La réorganisation ecclésiastique de la Suisse catholique avait suivi d’assez près l’établissement du pacte fédéral. Des évêchés avaient été conservés à Sion, Coire et Fribourg ; la juridiction de ce dernier diocèse s’étendait désormais sur le canton de Genève. Le siège de Bâle fut transféré à Soleure, et l’on convint que Saint-Gall formerait plus tard un cinquième évêché[1]. Comme on ne donna point de métropolitain à cette province ecclésiastique, il devint évident que la nonciature apostolique, dont le chef résidait à Lucerne, aurait en Suisse la direction supérieure des affaires catholiques, circonstance qui devait soulever une polémique très vive et servir non-seulement de prétexte à des déclamations violentes, mais encore de motif à des mécontentemens réels.

Un article du pacte fédéral (le douzième) garantissait « l’existence des couvens et chapitres et la conservation de leurs propriétés, en tant qu’elle dépend des gouvernemens des cantons. » La plupart des monastères auxquels s’appliquait cette sanction solennelle appartenaient à l’ordre, justement illustre en plusieurs lieux et partout inoffensif, des bénédictins de la congrégation du Mont-Cassin. Plusieurs couvens de femmes attiraient, comme ces monastères, une attention particulière et souvent jalouse par la richesse de leur dotation territoriale. Au contraire, les franciscains, séjournant dans les cantons de Fribourg, Lucerne et Soleure, plaisaient au petit peuple par leur laborieuse et patiente pauvreté. Cependant aucune irritation ne se serait manifestée, même dans la Suisse protestante, contre les établissemens monastiques, si la compagnie de Jésus n’eût, après sa résurrection, en 1814, fondé des collèges à Brigg, à Fribourg et à Estavayer. Le caractère entreprenant, infatigable, de cette association célèbre, l’influence prépondérante qu’elle avait exercée dans plusieurs grands états, la promptitude avec laquelle l’édifice de sa fortune immobilière s’élève dans les pays où elle met le pied, ses prétentions avouées à diriger l’éducation publique sans le contrôle des gouvernemens, tout s’unissait en elle pour exciter des inquiétudes et provoquer de vives récriminations. On savait, en outre, qu’un prosélytisme actif autant qu’adroit faisait partie de ses traditions le plus religieusement suivies.

Un fait considérable[2], dont Berne fut le théâtre, prouva bientôt que la controverse protestante aurait quelquefois le dessous contre de semblables adversaires. Cependant les jésuites ne furent d’abord attaqués

  1. Ce diocèse, séparé de celui de Coire, a été définitivement formé en 1845.
  2. La conversion au catholicisme du baron de Haller, sénateur.