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conseils, des présidens aux assemblées générales (Landsgemeinden). Dans les grands cantons, des domaines publics vastes et d’un revenu considérable formaient indirectement à la noblesse un second patrimoine, distribué entre les baillis et les autres dignitaires de l’état. Le gouvernement des gentilshommes était, en général, éclairé pour son temps, mais arbitraire et accompagné de formes dédaigneuses, qui contribuèrent, avec des griefs plus sérieux, à provoquer une insurrection presque générale dans les cantons de Bâle, de Soleure, de Berne et de Lucerne.

Ce mouvement éclata six ans après qu’une stipulation formelle, insérée dans le traité de Westphalie, en 1648, eut dégagé la Suisse de ses derniers liens féodaux avec l’empire et lui eut laissé prendre une place officielle parmi les états indépendans de l’Europe. Les sénats, attaqués dans le principe même de leur puissance, firent opérer, avec autant de promptitude que de vigueur, les milices bourgeoises des capitales et quelques détachemens de troupes soldées ; l’insurrection des paysans, comprimée sans grande effusion de sang, laissa le champ libre à la prépondérance absolue des intérêts aristocratiques. Ceux-ci du moins essayèrent de justifier leur triomphe par l’introduction successive de nombreuses et solides améliorations.

Deux guerres intestines, causées l’une et l’autre par le choc des communions religieuses, qui ne pouvaient s’entendre sur le gouvernement des pays sujets, se terminèrent, à cinquante-six années d’intervalle, sur un même champ de bataille, dans l’Argovie orientale[1]. Ces épreuves eurent pour résultat définitif l’établissement d’une sorte d’équilibre, quant à l’exercice du pouvoir politique, entre les catholiques et les protestans. Les progrès de l’école philosophique, dont la France était le foyer principal, faussèrent bientôt ce sentiment de tolérance qu’une expérience sévère avait développé chez les bons citoyens, et l’accord entre les deux communions s’établit graduellement sur la base décevante de l’indifférence en matière de religion. Toutefois les grandes masses des populations suisses ne furent d’abord que légèrement touchées par ces influences, étrangères au véritable caractère national. Une foi vive, une discipline ecclésiastique sévère, subsistaient au sein des deux cultes, non plus ennemis, mais toujours absolument distincts. Genève seule s’abandonnait à l’entraînement des novateurs l’ordre rigide fondé par Calvin se détendait au milieu des hardiesses de la pensée, de l’éclat des succès littéraires et des séductions du plaisir. Le rôle de cette petite république semblait grandir en se transformant ; elle demeurait un asile ouvert à la liberté, mais celle de la pensée en

  1. La première bataille de Vilmergen fut livrée en 1656, et la seconde, immédiatement suivie par la paix d’Aarau, eut lieu le 25 juillet 1712.