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enfin celui de Lucerne s’augmentait par les dépouilles des comtes de Kyburg et des archiducs eux-mêmes, dont le dernier effort fut tenté devant Dornach, l’année où finit le XVe siècle.

Alors, de huit qu’il était, le nombre des cantons fut porté promptement à treize : après l’admission de Soleure et de Fribourg, effectuée en 1481, celle de Bâle et de Schaffouse fut prononcée en 1501 ; de simples alliés, les citoyens d’Appenzell devinrent confédérés en 1513. La petite ville manufacturière de Mülhausen, en Alsace, et la cité turbulente de Genève, enclavée au milieu des domaines de la maison de Savoie, grossirent d’autre part le nombre des états alliés.

La signification politique de la Suisse avait singulièrement grandi depuis les jours de Morgarten et de Sempach. Des puissances redoutées s’étaient brisées contre cette organisation militaire impénétrable et pourtant flexible : le duc de Bourgogne, après avoir pu se croire au moment de fonder un royaume indépendant de la Gaule orientale, avait succombé sous l’hostilité des Suisses, et l’unité de la monarchie française, ébauchée par Louis XI, se trouvait due en partie aux glorieux combats de ces républicains ; le démembrement de la Lombardie par les montagnards des Alpes helvétiennes avait commencé dès 1487 ; enfin Maximilien Ier, tout en préparant par des empiétemens inattendus la grandeur excessive de l’héritage qu’il destinait à Charles-Quint, abandonnait par le traité de 1499 tout ce qui lui restait de prétentions, comme descendant des Habsburg, au berceau de sa famille, et tout ce qui lui restait de droits réels, comme empereur, à la suzeraineté des cantons.

L’alliance des vainqueurs de Charles-le-Téméraire était recherchée non-seulement par les archiducs et les Sforza, mais encore par les rois de France et les papes. Leur infanterie, réputée presque invincible, et désormais sans occupation dans son propre pays, se mit, pour subsister, à la solde de toutes les puissances belligérantes. De là naquirent des habitudes mercenaires qui corrompirent la dignité naïve des vieilles mœurs ; et la guerre, descendue chez les Suisses au rang de métier, fit négliger le commerce, l’agriculture même, et toutes les voies régulières de prospérité. Engagés avec toutes leurs forces nationales dans la lutte sanglante et plusieurs fois renouvelée dont la domination de l’Italie était l’objet, les Suisses songèrent un instant à conquérir pour eux-mêmes ces contrées, à qui la nature a fait, selon le mot poétique de Filicaja, « une dot fatale de leur propre beauté ; » mais la chevalerie de François Ier noya ces projets dans des flots de sang sur le champ de bataille de Marignan. Dès-lors l’esprit des grandes entreprises périt chez les Suisses ; il fut remplacé par la convoitise, le caprice populaire et les dissensions intérieures, qui se déchaînaient avec plus de force que jamais. Le rôle de la nation perdit de sa grandeur. Néanmoins, avant que