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se trouvèrent morcelées en comtés relevant de l’empire et en domaines ecclésiastiques, dont les possesseurs recevaient des Césars d’Occident leur investiture « par la crosse et l’anneau. »

On voit combien fut considérable le rôle joué par la hiérarchie ecclésiastique dans la formation de la Suisse ; celui des municipes était moins grand. Toutefois, des institutions communales, les unes, héritage direct de l’organisation romaine, d’autres, puisant leur origine dans le vieux droit germanique, donnaient déjà quelque puissance aux villes de Genève, Lausanne, Sion, Soleure, Bâle, Zurich, Lucerne, Constance, Coire, Berne et Fribourg. Ces deux dernières étaient alors des créations toutes récentes des ducs de Zoehringen, qui, pour opposer, dans leur landgraviat de Bourgogne, une barrière efficace aux déprédations des bourgraves insubordonnés, bâtirent ces asiles de la « libre vie communale, » ouverts à la petite noblesse et aux rudimens de la bourgeoisie, tels qu’ils existaient à cette époque[1]. Les autres villes helvétiques (sauf l’antique Soleure et Bâle, cité impériale dès l’origine) durent leurs premiers accroissemens à la tutelle de l’église, protection d’abord salutaire, mais bientôt onéreuse, et que ces villes, devenues riches et fortes, s’efforcèrent de secouer. L’action directe de l’autorité impériale était presque nulle en Helvétie : les cantons forestiers, le Hasli et la Thurgovie occidentale avaient seuls échappé à la mesure générale de l’inféodation. L’oligarchie militaire des comtes dominait l’ensemble du pays, où la servitude personnelle demeurait la condition commune des cultivateurs attachés au sol. On comptait, dans l’enceinte de la Suisse actuelle, vingt-cinq ou trente grands domaines séculiers, qualifiés pour la plupart de comtés. Entre les chefs de ces familles rivales, ceux qui gagnèrent l’ascendant définitif furent les comtes de Savoie dans le sud-ouest, ceux de Habsburg dans le centre et dans le nord. Un grand rôle était réservé par la Providence à la maison de Habsburg : d’une part, cette maison devait concentrer en elle-même les forces propres au moyen-âge, et leur procurer, en les défendant, une plus longue existence ; d’autre part, elle devait provoquer, par ses agressions contre les libertés de ses voisins, l’établissement d’institutions et le triomphe de doctrines qui préparèrent, sous plusieurs rapports, l’inauguration de l’ère moderne. Rodolphe, porté en 1272 sur le trône impérial, fit sortir l’Allemagne de l’anarchie sanglante où elle était plongée depuis la mort de Frédéric second. Sur la frontière orientale de ce pays, il rétablit l’ascendant germanique, renversé par les conquêtes du roi slave Ottocar[2] et l’Autriche, devenue le patrimoine de la maison de Habsburg, assura parmi les dynasties allemandes un

  1. Berthold IV, de Zoehringen, fonda Fribourg en 1179, et Berthold V, le dernier de sa race, posa la première pierre de Berne en 1191.
  2. Souverain de la Bohême et de la Moravie.