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Dalmatie, la Carniole, la Carinthie, la Styrie, sont gouvernées directement par l’administration centrale, tandis que les autres, c’est-à-dire la Croatie et la Slavonie, sont placées sous le régime constitutionnel de la Hongrie ; seulement elles se rapprochent en un point qui est essentiel, elles sont organisées civilement sur le principe de l’aristocratie territoriale. En Turquie, il y a aussi des provinces administrées directement par le pouvoir central, comme la Bulgarie et la Bosnie ; mais il y a une province à demi indépendante, c’est la Serbie ; il y a enfin la tribu des Monténégrins, qui forme à part un état libre. Civilement, les provinces illyriennes de la Turquie sont organisées d’après le principe démocratique, moins la Bosnie, où l’aristocratie s’est introduite au moyen-âge et maintenue, en adoptant l’islamisme. Parmi ces différences, celles qui se font le plus sentir sont les différences de législation civile. Les Serbes et les Bulgares, accoutumés à une égalité presque absolue, redoutent singulièrement la contagion de l’aristocratie croate et slavonne. Il est peut-être quelques sénateurs serbes qui ne s’en effraient pas et qui regarderaient comme un grand bienfait l’hérédité de leurs magistratures ; mais cela même contribue, en Serbie, à jeter de fâcheux soupçons sur les Croates.

Si l’on tenait à faire une étude approfondie des petites causes de division qui se trouvent jetées ainsi en travers de l’illyrisme, on en découvrirait de nouvelles dans les rivalités politiques qui ont parfois éclaté entre certaines tribus. C’est ainsi que les Monténégrins s’obstinent à vivre dans un isolement presque complet, par suite de leur foi en la supériorité de leurs vertus et de leur bravoure. Sans être isolés comme eux, les Serbes ont, avec plus de raison, la même confiance en leur force et en leur courage, et pour les Croates, plus avancés en civilisation, plus instruits et plus expérimentés en l’art de raisonner, ils ù’hésitent pas à se croire les seuls dignes de gouverner l’Illyrie.

Ce sont là autant d’obstacles au progrès de l’unité illyrienne. Par bonheur, ces obstacles ne sont pas invincibles, et voici pourquoi : c’est que, dans ce remuement d’hommes et de choses qui s’est fait depuis dix années en Croatie, des idées nouvelles, plus libérales et moins exclusives, ont fini par se produire et commencent à agir puissamment sur les esprits. On a peu perdu de l’ancienne rigueur montrée jusque-là contre les protestans, car le protestantisme n’apparaît aux Croates que sous les traits du magyarisme lui-même : ouvrir le royaume aux protestans, ce serait aussi l’ouvrir aux Magyars, dont un grand nombre appartient à l’église réformée : les Croates ne veulent point s’exposer à un si grand danger. Cependant, s’ils persistent à repousser les protestans, ils n’ont pas la même et sainte horreur pour les Grecs non-unis ; les hommes éclairés du parti fraternisent volontiers avec eux, et sentent bien tout ce que gagnerait l’illyrisme à renverser la barrière légale maintenue