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seuls de leur race dans le royaume et dans le monde, ont peu de chances de redevenir forts et redoutables. En est-il de même des Croates et des Slavons ? Sont-ils isolés et n’ont-ils d’autre influence à prétendre que celle qu’ils exercent aujourd’hui par eux-mêmes ? Outre les Dalmates, les Carinthiens, les Carniolais, les Styriens, qui agissent avec eux, les Slovaques des Carpathes, qui leur tendent la main, ils ont encore pour alliés par-delà la frontière méridionale, dans la Turquie, des peuplades nombreuses et guerrières ; ils ont enfin la fraternité même de tous les Slaves, qui intéresse à l’avenir de l’Illyrie les trois grandes populations bohême, polonaise et russe.

Il faut le dire cependant : si l’unité morale existe dès maintenant dans l’Illyrie nouvelle, si l’unité politique est possible et tend à se former, il est encore beaucoup d’entraves qui en gênent le progrès. Telles sont, par exemple, les différences de religion et de condition politique qui séparent les Croates et la plupart des Illyriens de l’Autriche de ceux de la Serbie, de la Bulgarie et du Monténégro. Les Croates sont en très grande majorité catholiques, et on pourrait ajouter, catholiques intolérans, bien que leur clergé se fasse remarquer par la plus aimable facilité de mœurs. A la vérité, leur législation admet l’exercice du culte grec non uni ; mais d’une part elle ne souffre pas l’établissement du protestantisme dans le royaume, et de l’autre elle prive de tout privilège municipal quiconque abandonne l’église latine, pour l’église orientale. Le catholicisme de la Styrie, de la Carniole, de la Carinthie et de la Dalmatie est peut-être moins ardent, sans être moins exclusif. Par un contraste regrettable, les Serbes, les Bulgares, les Monténégrins, suivent le rite grec non uni, et nourrissent une défiance traditionnelle pour le rite latin. Ce n’est pas par une foi profonde ni par un attachement très vif au symbole oriental. Le paysan serbe ou bulgare fréquente peu les églises ; souvent même il se passe du ministère du pope pour inhumer ses morts et baptiser ses enfans ; cependant il n’est point exempt de superstition, et les malencontreux souvenirs des anciennes haines de l’église grecque et de l’église latine vivent dans sa mémoire. Les répugnances qu’inspire le catholicisme croate aux Serbes et aux Bulgares ont beaucoup nui aux succès de l’illyrisme en Turquie[1].

Les différences de condition politique ont eu le même résultat. Parmi les provinces illyriennes de l’Autriche, les unes, comme la

  1. On pourrait citer comme preuve la résistance qu’opposent les Illyriens grecs aux Illyriens catholiques dans une question d’alphabet, ceux-ci écrivant en caractères latins, ceux-là en caractères cyrilliques. Il serait important pour tous qu’il n’y eût dans l’Illyrie qu’un seul alphabet, ne fût-ce que pour faciliter la circulation des journaux d’Agram en Serbie, et réciproquement. M. Gaj l’a proposé, après avoir fait un travail sur les équivalens dans les deux alphabets ; mais les Serbes et les Bulgares craignent que le catholicisme ne leur arrive, lui-même déguisé en quelque sorte sous les caractères latins, et la réforme ne s’accomplit point, si nécessaire qu’elle soit.