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pas sans exemple enfin que le texte soit presque complètement l’œuvre de ces éditeurs travaillant sur de simples notes ou sur des documens trop informes pour être livrés à la publicité sans avoir subi cette préparation. Rarement on y trouve un récit méthodique et suivi rédigé par l’auteur lui-même, et, lorsqu’il en est ainsi, ce récit ne s’applique d’ordinaire qu’à une époque, à un fait, déterminé qu’on a voulu éclairer d’un jour particulier. Souvent ces diverses formes sont mêlées dans le même recueil. De telles œuvres appartiennent évidemment à la politique bien plus qu’à la littérature, et constituent, non pas des fragmens d’histoire, mais des matériaux pour les futurs historiens. La diversité du génie des deux peuples n’est pas, à mon avis, la seule ni même la principale cause du peu d’analogie des mémoires anglais avec ceux dont l’immense collection occupe une si grande place parmi nos richesses littéraires. Cette cause réside surtout dans la différence qui a long-temps existé entre les institutions de l’Angleterre et de la France. Les mémoires français devaient éclore sous un régime de pouvoir absolu, dans lequel il n’y avait guère d’influence et d’importance que celle des individus ; les publications que, chez nos voisins, on désigne par le même nom, appartiennent naturellement à une époque et à un pays de publicité et de liberté, où les hommes ne peuvent acquérir ni conserver une haute position qu’à condition de se faire les représentans, les organes d’un principe, et de confondre leur intérêt personnel avec celui d’un parti ou d’une opinion.

Les publications de cette nature ne voient d’ordinaire le jour qu’après la mort de celui dont elles portent le nom ; on en comprend facilement le motif. Par une exception qui s’explique très naturellement, sir Robert Adair, parvenu à un âge assez avancé pour que la génération qui était entrée avec lui dans l’arène politique ait presque entièrement disparu, a cru pouvoir, de son vivant, livrer au public ses souvenirs et ses appréciations sur des faits importans auxquels il a pris une part directe comme représentant de son gouvernement, et que le cours du temps, hâté en quelque sorte de nos jours par la marche rapide des révolutions, a déjà fait passer dans le domaine de l’histoire. Fidèle d’ailleurs à ce respect scrupuleux des convenances qui caractérise les hommes d’état vraiment dignes de ce nom et dont on s’écarte rarement, en Angleterre, il a soin de nous avertir dans sa préface qu’avant de publier une partie de sa correspondance diplomatique, il s’y est fait autoriser non-seulement par celui des ministres anglais qui dirige aujourd’hui le département des affaires étrangères, mais encore par le chef actuel du cabinet de Vienne, où il était accrédité comme ministre plénipotentiaire lorsque fut écrite cette correspondance.

Sir Robert Adair n’a fait partie d’aucune administration, je crois même qu’il n’a siégé que pendant quelques années dans la chambre