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dès le traité de Campo-Formio : ce devait être le complément du royaume d’Italie ; elle s’est dissoute avec lui. L’Illyrie française s’étendait simplement des bouches du Cattaro, entre la Bosnie et l’Adriatique, jusqu’à la Save. Enfin l’Autriche possède encore aujourd’hui, au nombre de ses subdivisions administratives, une Illyrie, qui se compose des deux gouvernemens de Laybach et de Trieste.

L’Illyrie dont je veux parler n’a point d’existence officiellement reconnue par les diplomates ; elle a son origine dans la plus haute antiquité, mais sa force est tout entière dans des souvenirs, des espérances, des passions : c’est un être de raison. De patriotiques esprits l’ont imaginée dans l’intention de réunir en un même corps moral, et, s’il se pouvait, en un même corps politique, toutes les populations styriennes, carniolaises, carinthiennes, croates, slavones, dalmates, bosniaques, serbes, monténégrines et bulgares. C’est une des faces de la grande question slave, qui remplit aujourd’hui l’Europe orientale, dont elle contient assurément l’avenir[1].

En effet, ces populations, partagées aujourd’hui entre deux maîtres, les Autrichiens et les Turcs, régies par des législations fort différentes, séparées même par les rites religieux, appartiennent à une famille originale entre les trois autres familles slaves. Elles parlent un idiome qui n’est ni le bohème, ni le polonais, ni le russe, bien qu’il ait incontestablement la même souche : elles sont donc unies entre elles par un lien étroit, qui est le lien du sang.

Si l’on s’en rapportait à ceux qui ont écrit l’histoire de ces pays sans avoir pris connaissance des traditions nationales des Serbes et des Croates, le nom d’Illyriens aurait désigné, à l’époque d’Alexandre et de Rome, des peuples autochthones qui n’étaient point de la race slave, et les Slaves ne seraient venus s’établir, pour la première fois, sur les bords de l’Adriatique qu’au moment des grandes invasions ; mais les chants populaires des Slaves les plus voisins de la mer rappellent fréquemment Alexandre et sont pleins des souvenirs de la conquête romaine. Sans doute, l’Illyrie de l’époque macédonienne et de celle d’Auguste ne renfermait pas toutes les tribus dont se composait dès-lors cette quatrième famille des Slaves : il en était d’autres, moins connues, qui habitaient entre la frontière de l’Illyrie romaine et le Pont-Euxin, soumises pour la plupart à des peuples conquérans comme les Thraces ; mais les Illyriens des bords de l’Adriatique, ceux-là même

  1. Les lecteurs de la Revue savent que cette question a été introduite dans la publicité et traitée ici même par M. Cyprien Robert ; les études approfondies de cet écrivain sur le Monde gréco-slave et sur les Deux Panslavismes ont fait connaître l’esprit, les institutions et les tendances de la race slave. Ceux qui abordent après M. Cyprien Robert l’étude des événemens de l’Europe orientale ne sauraient oublier combien ses travaux ont facilité leur tâche, en initiant le public français à un mouvement d’idées qui était trop long-temps resté dans l’ombre, et qu’il n’est plus permis de négliger.