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s’élèvent des maisons, belles souvent comme des palais ; la population est espagnole, seul le mélange des noirs révèle une autre contrée. Québec, c’est la Basse-Normandie toute pure avec garnison anglaise ; quelque chose comme aurait pu être Rouen pendant l’occupation de 1815. Vera-Cruz, avant que l’ange exterminateur des révolutions passant par là lui eût imprimé un cachet de tristesse et de ruine, c’était l’Espagne s’embellissant, élargissant ses rues et s’épurant de ses mendians. Le voyageur, y retrouvant la mantille et le pied mignon des Andalouses, se serait cru volontiers sur la plage du midi de l’Espagne, là où par hasard elle est sablonneuse, aride et inculte. Sur le plateau mexicain, le nom de Nouveau-Monde est mieux approprié et plus vrai. La nature et les hommes y sont autres ; la végétation rigide des nopals[1] et des magueys[2], magnifiques aloès qui se plaisent et pullulent dans cette atmosphère raréfiée, a un aspect à elle. Ce sont des conditions autres d’existence pour l’espèce humaine, pour les bêtes, pour les végétaux. Par son site à une immense élévation dans les airs et pourtant au pied des montagnes, au fond d’un bassin, sous le coup d’une inondation, par son architecture grande, régulière sans ennuyeuse uniformité, Mexico ne ressemble qu’à elle-même. Ce n’est plus l’Europe, c’est une capitale pleine d’une majesté étrangère et originale. La physionomie de ses habitans, de ceux même qu’on répute blancs sans contestation, diffère de celle de la famille de Japhet. A leurs traits et à leur regard on reconnaît le mélange d’un autre sang. Une partie de la population, moins nombreuse à la ville qu’aux champs, est de pure race aztèque, et, par la couleur de sa peau et par la forme de ses vêtemens, avertit l’Européen qu’il a cessé d’être chez lui, qu’il vit dans un monde nouveau.

Ici, ou pour mieux dire dans les deux Amériques, les districts de mines d’argent et l’art métallique offrent profondément empreint ce caractère nouveau-monde. Tout y est autrement que chez nous. La région argentière semble n’avoir jamais eu de communication avec l’Europe, quoique ce soit la soif de l’or des Européens qui ait provoqué l’exploitation des métaux précieux. L’art des mines en Chine, par ses données économiques et techniques, diffère moins de celui de l’Europe actuelle. Ici, à côté d’un procédé chimique que la science européenne n’a point inspiré, qu’elle a été trois siècles sans expliquer, qui est ingénieux, surprenant, admirable dans la plupart des cas, on rencontre des procédés mécaniques, grossiers, stupides, et par conséquent très onéreux ; rien n’est cher comme l’ignorance. Tel est celui qui consiste

  1. Le nopal est un cactus arborescent.
  2. Le maguey est l’agave mexicana, espèce d’aloès, dont le jus sert à faire une boisson fermentée généralement en usage du temps de Montézuma, et qui aujourd’hui encore, pour les dix-neuf vingtièmes de la population, remplace le vin.