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sir William et lady Hamilton continuèrent leur voyage, et vinrent s’embarquer à Hambourg. Le 6 novembre, le vainqueur du Nil arrivait à Yarmouth. Il y fut accueilli par ces hommages spontanés que sait improviser l’enthousiasme populaire, hommages plus flatteurs pour lui que n’auraient pu l’être tous les honneurs officiels. De Yarmouth à Londres, son voyage ne fut qu’un long triomphe. La multitude saluait de ses acclamations, sans réserve et sans arrière-pensée, le héros mutilé qui, depuis huit années, n’avait jamais cessé de combattre au premier rang, le chef aventureux dont le succès avait absous l’audace. L’instinct plus délicat des autres classes de la société, bien qu’elles s’associassent à ces justes transports, réprouvait déjà les erreurs du soldat heureux et les scandales de sa vie privée. Sir William et lady Hamilton n’avaient point quitté lord Nelson depuis son départ de Palerme. Ils le suivirent à Londres. Lady Nelson et le vénérable père de l’amiral virent ce couple odieux venir s’établir sous le toit même où ils s’étaient réunis pour fêter le retour d’un époux et d’un fils ; trois mois s’étaient à peine écoulés depuis ce retour si impatiemment attendu, que Nelson, égaré par son fol amour, rejetait loin de lui une femme qu’il avait tendrement aimée et à laquelle (triste aveu du honteux entraînement auquel il obéissait) il adressa ce loyal et cruel adieu « .Je prends le ciel à témoin qu’il n’y a rien en vous, ni dans votre conduite, que je pusse reprendre ou que je voulusse changer ! » C’est lors que Nelson et Collingwood se rencontrèrent à Plymouth. Promu au grade de vice-amiral de l’escadre bleue le 1er janvier 1801, Nelson venait d’arborer son pavillon à bord du San-Josef. Le pavillon du contre-amiral Collingwood flottait à bord du Barfleur. Depuis le jour où ils avaient combattu ensemble sous le cap Saint-Vincent et partagé avec le capitaine Troubridge l’honneur de cette journée, les deux amis avaient cessé de marcher du même pas à la gloire et à la fortune. Le zèle ambitieux de Nelson avait été mieux servi par les circonstances que le dévouement calme et résigné de Collingwood. Pair d’Angleterre, le premier avait un nom européen ; la place du second n’était pas encore marquée dans l’histoire. De ces deux hommes, cependant, celui qu’on enviait était celui qu’il eût fallu plaindre. Il avait la grandeur et la célébrité ; il avait perdu la paix de l’ame.


E. JURIEN DE LA GRAVIERE.