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commission de gouvernement établie à Naples sous le nom de junte royale n’était point entièrement satisfaite encore. Elle réclamait avec instance le rappel du cardinal Ruffo, qui n’était, disait-elle au capitaine Troubridge, qu’un véritable embarras et nuisait par sa présence à l’entier rétablissement de l’ordre. Le roi n’avait guère le temps de songer à ces réclamations : il s’occupait alors de la fête de sainte Rosalie, et la junte dut écarter, comme elle l’entendrait, les obstacles que lui suscitait le cardinal. Il est probable qu’elle y réussit complètement, car, un mois après le départ du roi, Troubridge écrivait à lord Nelson que plus de quarante mille familles gémissaient sur le sort de quelques parens emprisonnes « Il est temps, lui disait-il, de proclamer une amnistie : non pas que je sois d’avis qu’on ait fait encore assez d’exemples ; mais la loi est si lente, que les innocens comme les coupables tremblent d’être jetés dans les cachots et de voir le glaive si long-temps suspendu sur leurs têtes. Les biens des jacobins se vendent ici à vil prix, et les gens du roi sont ceux qui les achètent. Aussi saisissent-ils tous les prétextes pour emprisonner un homme, afin de le voler. »

Troubridge était l’intime ami de Nelson, comme il l’avait été de lord Jervis. C’était un homme rude, mais loyal et justement estimé dans la marine anglaise Nelson lui avait accordé toute sa confiance et lui permettait d’user à son égard d’une franchise qu’il n’eût peut-être point tolérée chez un autre. A peine les Français eurent-ils évacué les derniers points qu’ils occupaient en Italie, Rome et Cività-Vecchia, que Troubridge fut envoyé à Malte pour en poursuivre le siége. Il eût voulu y entraîner Nelson et l’enlever ainsi aux séductions de la cour.


« Pardonnez-moi, milord (lui écrivait-il), pardonnez-moi, mais c’est ma sincère estime pour vous qui m’encourage à aborder ce sujet. Je sais que vous n’éprouvez aucun plaisir, à passer la nuit entière à jouer aux cartes. Pourquoi donc sacrifier votre santé, vos goûts, votre bien-être, votre argent, tout enfin, dans cette misérable cour ? J’espère que la guerre se terminera bientôt, et que la paix, en nous arrachant à ce repaire d’infamies, nous rendra les sourires des femmes de notre pays… Vous ignorez, milord, la moitié de ce qui se passe ; vous ignorez ce qu’on en dit. Ah ! si vous saviez ce que souffrent pour vous vos amis, je suis sûr que vous rompriez avec toutes ces fêtes nocturnes. On ne parle partout que des désordres de Palerme. Je vous en supplie, quittez ce pays ! Je voudrais que ma plume pût exprimer ce que j’éprouve. Vous n’hésiteriez pas à céder à mes instances. Ce n’est que ma sincère estime pour votre caractère, je vous le répète, milord, qui me donne la force de m’exposer ainsi à votre déplaisir ; mais, en vérité, l’intérêt de mon pays m’y oblige… Je maudis le jour ou nous sommes entrés au service de ce gouvernement napolitain ! Nous avons une réputation à perdre, milord ; ces gens-ci n’en ont point. Notre pays est juste sans doute, mais il est sévère, et je prévois d’ici que nous perdrons bientôt le peu que nous avons gagné dans son estime. »


On commençait, en effet, à se plaindre, hautement en Angleterre de