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REVUE DES DEUX MONDES.

Notons encore le mouvement entraînant du Liber scriptus, à trois temps dont le retour produit un effet singulier, le récitatif entonné par les basses sur le verset Quid sum miser ; les oppositions des voix d’hommes et des voix d’enfans sur le Recordare ; le dessin énergique des violons sur le morceau Inter oves locum praesta, qui suffirait à lui seul pour assigner à M. Zimmerman sa place parmi les compositeurs, et, dans l’offertoire, cette fugue traitée avec toutes les ressources de sa science, toute la chaleur de sa verve, et qui, interrompue par l’Hostias et preces, reparaît de nouveau soutenue d’une pédale sur laquelle les contours harmoniques se déroulent avec de nouvelles transformations. Ne perdons pas de vue cependant le point de départ de M. Zimmerman. Dans l’Introït, il nous a fait entendre une marche funèbre ; sur le Sanctus, ce chant de jubilation qui exalte au plus haut des cieux la gloire du Dieu des armées, M. Zimmerman a placé une marche triomphale. Il a réservé toute la puissance de ses effets pour ce morceau, et le chœur, l’orchestre les cuivres, les tambours découverts et l’orgue s’y réunissent dans un vaste cri de victoire et d’allégresse.

En attendant que la société des concerts donne au Requiem héroïque la sanction dont il est digne, nous féliciterons M. Zimmerman, lui, le dernier venu parmi les musiciens, qui ont traité le même sujet, d’avoir suivi une route à part dans une carrière déjà glorieusement battue. Rien, dans son ouvrage, qui porte la trace de réminiscences, qui reproduise les inspirations appartenant à ses prédécesseurs. L’imitation est un écueil que les plus habiles même n’évitent pas toujours. Dans le Requiem héroïque de M. Zimmerman, tout est bien de lui : la conception, la disposition des parties, l’enchaînement des harmonies et des chants, la couleur, l’instrumentation. Il est donné à peu d’artistes de pouvoir se reposer sur une œuvre pareille, si empreinte de nouveauté.

Faut-il l’avouer cependant ? nous ne pouvons, quand nous assistons à l’exécution de certaines œuvres contemporaines, nous ne pouvons nous défendre de quelque tristesse à l’idée que ces productions, admirées aujourd’hui, seront peut-être oubliées dans un petit nombre d’années, soit parce qu’elles auront cessé d’être en rapport avec les moyens d’exécution, soit parce que l’on ne sera plus à même d’en pénétrer le sens et l’esprit. Cette pensée nous vient surtout à propos de ces compositions que l’on nomme religieuses parce qu’elles ont été écrites sur les textes sacrés. Oui, sans doute, ces messes de Requiem, ces Stabat, sont bien beaux, bien imposans au point de vue de l’art. Notre esprit, néanmoins, se reporte toujours malgré nous au plain-chan de l’office des morts, à ce Dies irae, à ce De profundis en faux bourdon que de simples chantres entonnent auprès de la bière du pauvre comme autour du catafalque du riche. Ce plain-chant ne suffit-il pas à la prière, à la foi, l’appareil même de la mort ? Faut-il donc donner le change à la douleur par des pompes importunes ? Depuis plus de six cents ans, les fidèles versent des larmes et les essuient aux accens du Dies irae. Parmi les plus brillans chefs-d’œuvre de l’art moderne, en est-il beaucoup auxquels on oserait prédire une pareille durée ?


J. D’ORTIGUE.

V. de Mars.