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notre influence sur l’Espagne. Il faut lire, dans un livre tout d’à-propos qui vient de paraître, Diplomatie de la France et de l’Espagne depuis l’avènement de la maison de Bourbon[1], l’histoire de la lutte constante des deux peuples dans la Péninsule. Ce n’est pas nous cependant qui cherchons à porter atteinte à l’indépendance morale de la nation espagnole ; au lieu de fomenter dans son sein la discorde et l’anarchie, nous assistons avec une sympathie mêlée d’espoir à ses efforts pour l’affermissement de la monarchie constitutionnelle. Dans quelques jours, les élections générales auront lieu dans la Péninsule ; on croit qu’elles feront entrer aux cortès une soixantaine de progressistes : ce parti aurait ainsi la preuve qu’il peut se faire une place sans sortir de la constitution. La famille royale de Madrid a vu revenir à elle l’infant don Enrique, qui a complètement désavoué la protestation qu’il avait eu la légèreté de signer il y a quelques mois. Dans ces derniers temps, il a pu voir dans quel abîme il aurait été entraîné par les provocations qu’il recevait de l’Angleterre. On l’engageait à lever l’étendard de la guerre civile ; il a repris le sentiment de ses devoirs : son frère, le roi d’Espagne, a surtout l’honneur de cette réconciliation.

Tandis que sur la Vistule on déchire avec un si funeste éclat des traités où la France était partie contractante, on s’efforce insensiblement de gagner pied à son préjudice sur l’Escaut et dans les Alpes, on agite sourdement les provinces danubiennes, où tout le chemin qu’on fait mène à Constantinople. Ce n’est pas seulement avec de grands coups que les trois cours veulent asseoir leur influence en Europe ; elles ont des procédés moins bruyans, et certains faits assez récens peuvent servir à montrer comment s’y prend leur ambition quand elle trouve son intérêt à se dissimuler.

Si la Belgique ne s’est point encore jetée dans les bras de l’Allemagne, ce n’est point la faute de la Prusse. À peine la France avait-elle repoussé l’union douanière, que le Zollverein s’est présenté pour recueillir ces bénéfices restés disponibles. L’esprit allemand a porté sur cet espoir de conquête la passion singulière par laquelle se traduisent maintenant toutes ses entreprises nationales où politiques ; le gouvernement prussien s’est mis à la tête de cette nouvelle croisade ; il l’a servie avec les armes qu’il aime. Il ne s’est pas contenté des faveurs commerciales par lesquelles le traité du 1er septembre 1844 invitait la Belgique à prendre sa place dans le cercle des douanes allemandes ; il a cherché des séductions moins matérielles et fait appel aux vieux souvenirs d’un même berceau ; s’il n’a point encore précisément réussi, ce n’est point pour avoir ménagé ses frais d’éloquence. Il a soutenu de son mieux la résurrection du patois flamand commencée en 1840. M. d’Arnim qui posait, en 1843, à Anvers, la première pierre de l’entrepôt prussien, a travaillé avec une dextérité particulière à développer ces manifestations nationales en faveur d’une langue sœur de la langue allemande. Verrons-nous donc le français proscrit par le flamand, comme il l’était par le hollandais en 1829 ? Franchement, nous sommes encore loin de le croire. Le festival de Cologne du mois de juin dernier, les fêtes de septembre à Bruxelles, ont été, nous le voulons bien, des occasions de rencontres et d’embrassemens entre les Flamands et leurs frères de Germanie : nous doutons fort cependant que la Belgique passe à l’Allemagne sous le pur ascendant de ces vanités nationales, bien quintessenciées pour son goût.

  1. Un vol. in-8o, chez Gerdès, éditeur, 10, rue Saint-Germain-des-Prés.