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et des desseins de Palmerston. L’époque de 1840 est-elle donc si loin de nous, qu’elle ne puisse nous éclairer par d’utiles souvenirs ? La France a aujourd’hui en face d’elle le même homme qui, en 1840, la mettait en dehors du concert des puissances au sujet de la question d’Orient. Lord Palmerston n’avait pourtant alors aucun grief sérieux contre la France ; tout au plus avait-il à se plaindre de quelque lenteur ou de quelque dissentiment sur la manière d’apprécier les prétentions respectives de la Porte et du pacha d’Égypte. C’en fut assez néanmoins pour déterminer cet homme d’état à précipiter une solution injurieuse pour nous. Aujourd’hui lord Palmerston dit tout haut qu’il a les plus justes plaintes à élever contre la politique française ; il s’entête à faire un crime à notre gouvernement d’une prétendue violation du traité d’Utrecht, qui, selon lui, interdit toute alliance par mariage entre les Bourbons de France et d’Espagne. Si l’irritation de lord Palmerston est sincère, nous devons craindre les actes qu’elle voudra lui inspirer ; si par hasard elle était plus affectée que réelle, elle supposerait à notre égard une préméditation hostile qui devrait plus encore éveiller notre vigilance Dans des circonstances aussi graves, en vérité, les hommes disparaissent, et l’on ne se sent de préoccupations que pour les grands intérêts du pays.

Avec lord Palmerston, la rivalité de la France et de l’Angleterre, qui, durant ces dernières aunées, dans quelques heureux momens de calme et de bonne intelligence, paraissait s’assoupir, reprend une vivacité fâcheuse. La même ardeur que le ministre whig avait contre M Thiers, il la déploie aujourd’hui contre M. Guizot. Singulière destinée du représentant d’un parti qui a souvent proclamé ses sympathies pour la France constitutionnelle, que de se trouver successivement l’adversaire déterminé des deux hommes d’état qui, parmi nous, ont le plus appuyé leur politique sur l’alliance anglaise ! Lord Palmerston a une manière de concevoir la grandeur de son pays qui implique toujours pour la France quelque chose de triste et d’humiliant. En 1840, il voulait nous annuler à Constantinople et nous enlever toute l’influence en Égypte. Que se propose-t-il, aujourd’hui ? En face d’un pareil adversaire, il faut chercher avec inquiétude quels pourront être ses mouvemens, ses desseins, sur quels points il portera son esprit d’agression et d’envahissement.

En attendant, le ministre anglais voudrait arriver à un premier résultat : ce serait de réformer contre nous une sorte de ligue des puissances, comme en 1840. Dans cette vue, il a refusé de se joindre à nous pour protester contre le coup d’état qui a frappé Cracovie, et il a donné la note qu’il a adressée à lord Ponsonby sur cette affaire le caractère de simples observations destinées à suspendre l’exécution d’une mesure qui ne serait pas encore réalisée. Il a voulu que les trois puissances fussent surtout frappées du contraste de son attitude avec la nôtre, et il s’est proposé d’exciter leur reconnaissance, quand elles pourraient comparer la réserve, la modestie de ses observations, à la chaleur qu’allait sans doute montrer la France dans cette occasion. Tel est le piége que nous tend aujourd’hui le représentant des whigs, de ce parti qui s’était montré jusque-là si porté pour la cause polonaise. À cette bienveillance succède aujourd’hui une indifférence glaciale ; on sait maintenant pourquoi.

La France protestera contre l’usurpation des trois puissances sur l’indépendance de Cracovie, consacrée par les traités. Elle se doit à elle-même d’élever la