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se retrouvent au milieu de ce choc gigantesque d’hommes et se donnent le dernier baiser fraternel. Il ne m’en coûte pas d’entrer dans ces détails avec Jasmin, parce que je sais le prix qu’il attache aux remarques sincères, parce que c’est un droit qu’on ses amis d’être jaloux de la perfection de ses œuvres.

Cela dit cependant, on pourrait ajouter que dans ses portions vraiment inattaquables, le poème des Deux Jumeaux décèle encore un progrès, car la constance dans une voie excellente produit par elle-même un incessant progrès. L’esprit y gagne chaque jour plus de sûreté, à mesure qu’on se familiarise avec la nature, on l’aime davantage, on en surprend mieux les secrets, on aperçoit plus clairement ses aspects divers et infinis. L’étude des vrais penchans de l’ame, des éternels sentimens humains, rajeunit sans cesse le talent ; telle est la source féconde de la poésie de Jasmin. Aussi ce vif instinct du vrai lui dicte plus d’une parole qui pourrait avoir de l’autorité, pour tous : « la franche poésie maintenant est comprise et revient, dit-il dans une épître à un de ses compatriotes ; des hommes à grand renom, pour ne ressembler à personne ; du vrai, du naturel franchirent la borne, et le monde entraîné la sauta à pieds joints Mais là-bas, qu’ont-ils trouvé ? Au lieu de feu, de la fumée, une laide et fausse nature, un ciel sans robe bleue, un soleil sans chaleur, de gros épis sans blé et des fleurs sans parfum. — Aussi, voyez la foule ! elle revient dans la bonne route. Ah ! fleurissons-la chaque jour pour qu’elle y vienne plus vite et qu’elle y puisse rester… » C’est en persévérant dans cette route que Jasmin, ainsi que le lui a dit M. de Salvandy en acceptant la dédicace des Deux Jumeaux, ne cessera de nous faire goûter ces délices incomparables d’une poésie harmonieuse qui de l’oreille arrivent si profondément au cœur et à la pensée.


CH. DE MAZADE.