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populations flamandes, est passée à l’état de chimère. Les différences de climat, la nostalgie, les déboires inhérens à toute colonisation, les mécomptes commerciaux qui attendaient les pacotilleurs belges chez des populations sans luxe, presque sans besoins, et surabondamment pourvues par la spéculation anglaise de tous les produits européens d’un débit possible, enfin et surtout l’entêtement d’un jésuite, qui, nommé d’abord directeur spirituel, plus tard directeur civil de la colonie, s’était mis très sérieusement dans l’esprit de renouveler sur les émigrans les essais de discipline théocratique réalisés jadis par la compagnie sur les peuplades du Paraguay, toutes ces causes réunies ont fait déserter ou à peu près le nouvel établissement. Aujourd’hui le mot de Guatemala a acquis dans le vocabulaire belge la valeur proverbiale qu’obtint, il y a plus d’un siècle, chez nous, le mot de Mississipi. En même temps que cette issue se fermait à l’excédant des bras et des bouches, deux mauvaises récoltes coup sur coup sont venues accroître l’impossibilité du système d’isolement. Les Flandres comptaient en moyenne, d’après les relevés approximatifs de 1843, un pauvre sur six habitans : deux ans ont suffi pour doubler le premier terme de cette effrayante proportion. Les secours des bureaux de bienfaisance, les aumônes des couvens, ce correctif traditionnel de l’accaparement monastique, n’y suffisent déjà plus. Des familles, des populations entières, hâves, demi-nues, tour à tour menaçantes et suppliantes, promènent dans les villages épouvantés et jusque dans les rues des grandes villes le spectre sans cesse renouvelé de la faim. C’est la misère irlandaise des plus mauvais jours, moins la résignation, moins l’espérance endormante du rappel. « Le ventre est un grand politique, » dit un proverbe trop peu connu du mendiant espagnol, et, de ces cinq cent mille poitrines épuisées, un cri spontané est sorti, qui donne le dernier mot de la réaction commerciale où la Belgique s’est trouvée à son insu précipitée : « L’union douanière avec la France ou la réunion ! »

Le ministère recule tant qu’il peut cette nécessité, ou du moins il affecte de la reculer ; car, s’il avait pour but de décourager les résistances anti-unionistes en démontrant l’impuissance de tout palliatif, il ne s’y prendrait pas mieux. Ainsi, le ministère a prorogé la libre entrée des céréales ; mais qu’importe le bon marché à qui est dans le dénûment ? Les familles flamandes qui vivent moitié de leur travail, moitié de leur champ de pommes de terre, ne peuvent pas, leur récolte perdue, se suffire par leur travail seul. Il a demandé aux chambres un crédit de 300,000 francs pour le perfectionnement de l’industrie linière dans les campagnes où n’ont pas encore pénétré les nouveaux rouets ; mais perfectionner les procédés de travail, surexciter la production quand les débouchés restent les mêmes, n’est-ce pas déplacer, agrandir la